dimanche 20 octobre 2013

Don d'organes

Si il y a bien un motif d'intervention smur qu'un urgentiste doit savoir gérer, c'est bien l'arrêt cardiaque. Hormis pour les réanimateurs, dès qu'un spécialiste est confronté à un arrêt cardio-respiratoire, il fait forcément appel à l'urgentiste et là, pas question d'être en train d'effectuer un acte technique ou être en cours d'examen, il faut absolument que l'on intervienne (le spécialiste ne comprendrait pas que l'on ne soit pas disponible à sa demande... L'inverse, évidemment, ne va pas de soi...).
Ainsi, dès qu'une mission smur tombe, la première chose que l'on demande est le motif d'intervention. Entendre "ACR", "Arrêt cardio-respiratoire" ou "Arrêt cardiaque" nous provoque comme une réaction physiologique : on se réveille, tous nos sens sont en alerte, on est sur le qui-vive. Il va falloir que l'on soit efficace et rapide. Il va falloir prendre des décisions en peu de temps avec parfois très peu d'élément à sa disposition. Chaque membre de l'équipe connait son rôle. On sait également qu'il va falloir s'adapter au lieu de l'intervention (cave, toilettes, chambre étroite,...), aux premiers intervenants (pompiers, ambulanciers, famille, tiers), au climat (si intervention en extérieur : pluie, neige, boue),...
Aussi, quand nous avons été déclenchés récemment pour un arrêt cardiaque, nous étions prêts. L'ambulancier et l'infirmière étaient chevronnés. Je n'avais aucun souci à me faire : je n'aurai pas besoin de surveiller ou d'intervenir, ils sauront anticiper mes moindres faits et gestes. A notre arrivée : on se rend compte tout de suite qu'il s'agit d'un homme jeune en arrêt cardiaque sur un trottoir (devant un bar en plus) en plein après-midi. Je vois vaguement dans le coin de mon regard une femme pleurer : probablement sa femme. un des pompiers me donne un rapide bilan : homme, 40 ans, douleur thoracique ce matin, arrêt dans sa voiture, un passant massait à leur arrivée, 1 choc électrique externe. Je me suis dit : "On peut le récupérer, celui-là". Intubation, ventilation. C'est bon : l'infirmière a piqué et injecté l'adrénaline, l'ambulancier a posé le scope et amené le respirateur. Nous mettons le patient sous planche à masser. Nouvelle analyse : pas de choc. Merde !!! Bon, allons à la pêche aux infos. La femme qui pleure est bien son épouse mais est hongroise et ne parle pas français. Heureusement, une personne s'improvise interprète. J'apprends que l'homme ressentait régulièrement des douleurs thoraciques depuis 2 mois et comme ce matin, la douleur était plus intense, il avait décidé de consulter à l'hôpital mais... a voulu s'arrêter chez lui avant. P..., c'est pas vrai, quand je pense à toutes les douleurs thoraciques que l'on voit en smur ou aux urgences et là, ce patient a préféré attendre pour finalement être en arrêt.
Je retourne auprès du patient : asystolie (tracé plat), mydriase aréactive,... Pas bon ça...
Vu l'âge, j'appelle rapidement le Samu pour une demande de circulation extra-corporelle. Un problème que le régulateur me signale est qu'on ne connait pas le no-flow, c'est à dire, le temps pendant lequel le patient n'a pas été massé. Et oui, le passant ayant massé le patient a disparu. Mais bon, en attendant la réponse du Samu qui prend contact avec les réanimateurs et les cardiologues, je demande aux pompiers de le mettre sur le brancard et dans leur véhicule. Faut qu'on fasse vite. Allez!!! J'y crois !!!
Rappel du Samu. Pas d'indication d'Ecmo. Merde !!! Je me suis alors vu dire aux pompiers de le laisser sur place, donc de le sortir de leur véhicule et de le mettre où du coup ?? Alors, j'ai pensé : va falloir que l'on attende les pompes funèbres. Bonjour l'ambiance. Va falloir le dire à sa femme...
Pas d'Ecmo, mais le régulateur me précise que le patient pourrait devenir un donneur d'organes à coeur arrêté... Bien, c'est déjà ça. Bon, faut faire vite également mais surtout plus ou moins commencer à en parler à sa femme : lui dire que son mari est décédé malgré les gestes de réanimation en cours (planche à masser, respi, défibrillateur,...) mais... que l'on peut prélever ses organes....... Je ne vais pas jusque là... C'est trop tôt et trop d'un coup... J'en parle à l'interprète pour qu'elle lui en parle vaguement pendant le trajet.

Au final, nous l'avons transporté dans les meilleurs délais et surtout dans les délais requis.

Hélas, il ne fut pas prélevé... Je ne sais pas bien pourquoi...

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