jeudi 31 octobre 2013

La petite sous respirateur

Hier : prise en charge en smur d'une petite de 8 mois pour tachycardie. Déjà, ce n'est pas courant d'intervenir pour une tachycardie à cet âge. Mais en plus cette petite présentait une myopathie depuis sa naissance et ne pouvait respirer qu'à l'aide d'un respirateur et se nourrir que par une sonde de gastrostomie. Vous avez beau avoir vu des gens trachéotomisés, sous respirateur, avec des stomies, mais voir cette petite de 8 mois qui au bout de quelques semaines de vie a du subir 4 interventions pour lui permettre de vivre. Je dis vivre... Mais elle ne bouge pas hormis ses yeux. Survivre ? Elle n'a connu que ça. Elle n'a que 8 mois mais se rend-t-elle compte de quelle chose ?.

J'ai trouvé cela triste et j'avais beaucoup de peine pour elle. Je pensais : "Comment va t'elle grandir ?", "Pourra t-elle un jour bouger, jouer, marcher ?". 

Je pensais également aux parents qui ont du subir tout cela : l'annonce de la maladie de leur enfant, de son handicap, son devenir, des différentes opérations, la peur du moindre problème pouvant compromettre le pronostic vital, l'incertitude du devenir. Et, au lieu d'avoir des parents angoissés, vindicatifs comme peuvent l'être des proches de patients porteurs de pathologies lourdes et chroniques et qui souvent en savent plus que les soignants, j'ai rencontré une mère et un père adorables.
Calmes, posés, nous expliquant calmement ce que leur petite avait comme pathologie, les opérations qu'elle avait subi, les gestes qu'ils effectuaient régulièrement : toilette, aspiration, alimentation par sonde, remplacement de la canule de trachéotomie. En quelques mois, ils avaient appris tellement de gestes et de soins. Ils étaient équipés de 2 respirateurs : un pour le domicile et un de transport, d'un aspirateur à mucosités, d'un oxymétre de pouls. Ils avaient appris à se servir et à régler les différents appareils.
En plus de cela, ils étaient gentils, non angoissés, nous aidant dans nos gestes.

Nous avons transporté la petite ainsi que sa mère. Cette dernière était d'une aide précieuse : connaissant son enfant comme personne, elle nous signalait si quelque chose sortait de l'ordinaire.

Une fois au déchocage, au moment de l'installer, l'infirmier responsable du secteur demande à la mère de sortir. L'infirmier Smur et moi-même sommes intervenus pour qu'elle puisse rester.

Pendant tous les examens et les gestes réalisés sur leur fille, les parents sont toujours restés calmes, laissant l'équipe médicale et para-médicale travailler, revenant quand ils le pouvaient sans jamais insister. Impressionnant...

samedi 26 octobre 2013

Et le régime crétois dans tout ça...

Cela faisait une dizaine de jours que je n'étais pas partie en rapatriement, alors quand on m'a proposé de partir pour la Crète sur 2 jours, je n'ai pas hésité. Bon, faut pas se faire d'illusion : je suis arrivée tard le premier jour pour repartir tôt le lendemain avec le patient, aussi, pas le temps de visiter. J'ai juste pu manger grec et encore lors de mon transit à l'aéroport d'Athènes.
Ce qui m'a le plus amusé ou attristé fut l'histoire du patient ou comment un français à l'étranger ne parlant pas anglais peut se faire soigner ?
Faut dire que le gars partait mal : éthylo-tabagique, 50 ans, malade dès son premier jour en Crète (pas de chance, de la Crète, il n'a vu que le mur en face de son lit...) : pneumonie. Pas de problème diagnostique ni thérapeutique et effectivement, d'après le rapport médical, il a bénéficié d'un bilan biologique, radiologique et d'une double antibiothérapie avec hospitalisation en soins intensifs devant l'insuffisance respiratoire. Rien à redire.
Mais voilà, nerveux, agité, douloureux avec l'impossibilité de communiquer et de se faire comprendre, le patient en est venu à s'énerver, à repousser ceux ou celles qui venaient lui faire des prises de sang (il ne comprenait pas pourquoi on lui enfonçait une aiguille dans le poignet. C'était des gaz du sang, normal mais si on ne lui explique rien...).
En plus, évidemment, arrêt du tabac et surtout de l'alcool... Du coup : patient agité qui a fini attaché à son lit... Alors qu'il n'a pas de pathologie psychiatrique... Mais bon, devant un patient grave, agité avec l'impossibilité de le raisonner, je peux comprendre.
Le patient a commencé à se calmer lorsqu'un psychiatre est venu le voir. Il a alors eu peur de finir en hôpital psychiatrique en Grèce. J'aurais aimé voir ça.
Les médecins m'ont bien expliqué la situation et même si leur hôpital semblait dater et ne disposer que de peu de moyens, la prise en charge fut correcte.
Quand je l'ai pris en charge, le patient était toujours nerveux et en voulait à tous les grecs : aussi bien ceux de l'hôpital que les employés de l'aéroport : trop lent, bordélique, sale,... Il n'arrêtait pas de râler, de pester. Il s'est seulement calmé une fois dans l'avion d'Air France le ramenant à Paris. Ouf...

Bref, j'ai pu mangé grec en Grèce.

mardi 22 octobre 2013

Vieux et... grabataire...

On vit de plus en plus vieux. Génial. De plus en plus de centenaires. Super !!!
Je me vois déjà à 90 ans en train de faire du vélo, faire mes courses au marché pour acheter des produits frais et faire un bon petit repas pour moi et mes proches, fêter mes 100 ans entouré de mes arrières-petits-enfants, partir en voyage voir de nouveaux paysages et faire de nouvelles rencontres...

Non, bien sur !!!!! Ce n'est absolument pas le tableau que je me fais du 4ème âge... Pourquoi ? Peut-être parce que les personnes âgées que je vois sont grabataires, déments, paralysés, déshydratés, infectées voire "sub-claquant". Et oui, aux urgences, nous avons la chance de recevoir des patients âgés :

  • amenés par leur famille parce que cette dernière ne peut plus assurer le quotidien (toilette, habillage, nourriture,...). Leur proche est devenir trop lourd à gérer ou agressif,
  • adressés par des médecins traitants car le patient présente une pathologie qu'ils n'arrivent plus à gérer en externe ou pour des examens complémentaires difficiles à organiser,
  • amenés par des pompiers ou ambulanciers pour chute, coma, erreur thérapeutique, fièvre,
  • adressés par des maisons de retraite, Ehpad, foyer-logement pour fausses-routes, fièvre, traumatisme, malaise,....
Le motif de recours le plus courant est malaise ou altération de l'état général. Comment peut-on parler d'altération de l'état général chez une personne de 95 ans grabataire et démente ? Il me semble que son état est déjà bien altéré. N'en jetez plus...

Ainsi, nous avons cette chance aux urgences d'être le déversoir de toute cette population âgée lourde et porteuse de pathologies chroniques (hypertension, dyslipidémie, diabéte, prothéses diverses et variées) avec plein d'antécédents en "-ectomie" (appendicectomie, cholécystectomie, hystérectomie, colectomie, thyroïdectomie,... : comment prendre du poids en une opération). Il nous faut alors découvrir un patient : ses antécédents, son histoire médicale, son milieu de vie (seul ou en famille, aide ménagére ? infirmière à domicile ? kiné ?), son traitement, son anamnése ("alors que s'est il passé récemment ?). Il nous faut l'examiner : "c'est nouveau ces œdèmes ?", "depuis quand vous toussez ?", "vous marchez ?", "on est en quelle année ?". Parfois, on nous répond, mais souvent on se sent bien seul. Et ce n'est pas facile de se faire une idée précise. On lance un bilan : biologie, radiologie ainsi qu'une thérapeutique : "dyspnée d'origine cardiaque ou pulmonaire ?", "coma médicamenteux, d'ordre étabolique ou vasculaire ?". On fait des paris en visant telle ou telle pathologie, ou alors on bombarde d'examen et de traitement... Mais dès le début de la prise en charge, une question taraude en permanence notre esprit : "que vais-je faire de cette patiente ?", "retour à domicile ?", "hospitalisation ?", "réanimation ? (le réa va me tuer...)".
Parfois, l'hospitalisation n'est pas nécessaire : la patiente est relativement en bonne santé, elle n'a pas besoin de l'hôpital mais plutôt d'un centre de rééducation ou d'un foyer court séjour. Mais trouver une place en urgence est illusoire et la famille ne peut plus ou ne veut plus la récupérer (d'ailleurs, elle est déjà partie vous laissant seule avec le patient). Il faut alors convaincre le service et les médecins que vous gardez telle personne pour hébergement... Cela fait cher la chambre d'hôtel... Souvent, vous hospitalisez en sachant que l'état général de la patiente ne s'arrangera pas forcément : personne ne la fera marcher, le repas lui sera apporté dans sa chambre, on lui mettra une couche pour éviter d'avoir à la mettre sur le bassin ou à l'amener aux toilettes. Ainsi, le patient qui ne fait pas d'efforts finira par devenir grabataire, incontinent, ne sachant plus s'alimenter seul. C'est pourquoi on ne désire pas forcément hospitaliser lorsque l'état clinique ne le nécessite pas... Mais allez faire comprendre ça à une famille fatiguée...

dimanche 20 octobre 2013

Don d'organes

Si il y a bien un motif d'intervention smur qu'un urgentiste doit savoir gérer, c'est bien l'arrêt cardiaque. Hormis pour les réanimateurs, dès qu'un spécialiste est confronté à un arrêt cardio-respiratoire, il fait forcément appel à l'urgentiste et là, pas question d'être en train d'effectuer un acte technique ou être en cours d'examen, il faut absolument que l'on intervienne (le spécialiste ne comprendrait pas que l'on ne soit pas disponible à sa demande... L'inverse, évidemment, ne va pas de soi...).
Ainsi, dès qu'une mission smur tombe, la première chose que l'on demande est le motif d'intervention. Entendre "ACR", "Arrêt cardio-respiratoire" ou "Arrêt cardiaque" nous provoque comme une réaction physiologique : on se réveille, tous nos sens sont en alerte, on est sur le qui-vive. Il va falloir que l'on soit efficace et rapide. Il va falloir prendre des décisions en peu de temps avec parfois très peu d'élément à sa disposition. Chaque membre de l'équipe connait son rôle. On sait également qu'il va falloir s'adapter au lieu de l'intervention (cave, toilettes, chambre étroite,...), aux premiers intervenants (pompiers, ambulanciers, famille, tiers), au climat (si intervention en extérieur : pluie, neige, boue),...
Aussi, quand nous avons été déclenchés récemment pour un arrêt cardiaque, nous étions prêts. L'ambulancier et l'infirmière étaient chevronnés. Je n'avais aucun souci à me faire : je n'aurai pas besoin de surveiller ou d'intervenir, ils sauront anticiper mes moindres faits et gestes. A notre arrivée : on se rend compte tout de suite qu'il s'agit d'un homme jeune en arrêt cardiaque sur un trottoir (devant un bar en plus) en plein après-midi. Je vois vaguement dans le coin de mon regard une femme pleurer : probablement sa femme. un des pompiers me donne un rapide bilan : homme, 40 ans, douleur thoracique ce matin, arrêt dans sa voiture, un passant massait à leur arrivée, 1 choc électrique externe. Je me suis dit : "On peut le récupérer, celui-là". Intubation, ventilation. C'est bon : l'infirmière a piqué et injecté l'adrénaline, l'ambulancier a posé le scope et amené le respirateur. Nous mettons le patient sous planche à masser. Nouvelle analyse : pas de choc. Merde !!! Bon, allons à la pêche aux infos. La femme qui pleure est bien son épouse mais est hongroise et ne parle pas français. Heureusement, une personne s'improvise interprète. J'apprends que l'homme ressentait régulièrement des douleurs thoraciques depuis 2 mois et comme ce matin, la douleur était plus intense, il avait décidé de consulter à l'hôpital mais... a voulu s'arrêter chez lui avant. P..., c'est pas vrai, quand je pense à toutes les douleurs thoraciques que l'on voit en smur ou aux urgences et là, ce patient a préféré attendre pour finalement être en arrêt.
Je retourne auprès du patient : asystolie (tracé plat), mydriase aréactive,... Pas bon ça...
Vu l'âge, j'appelle rapidement le Samu pour une demande de circulation extra-corporelle. Un problème que le régulateur me signale est qu'on ne connait pas le no-flow, c'est à dire, le temps pendant lequel le patient n'a pas été massé. Et oui, le passant ayant massé le patient a disparu. Mais bon, en attendant la réponse du Samu qui prend contact avec les réanimateurs et les cardiologues, je demande aux pompiers de le mettre sur le brancard et dans leur véhicule. Faut qu'on fasse vite. Allez!!! J'y crois !!!
Rappel du Samu. Pas d'indication d'Ecmo. Merde !!! Je me suis alors vu dire aux pompiers de le laisser sur place, donc de le sortir de leur véhicule et de le mettre où du coup ?? Alors, j'ai pensé : va falloir que l'on attende les pompes funèbres. Bonjour l'ambiance. Va falloir le dire à sa femme...
Pas d'Ecmo, mais le régulateur me précise que le patient pourrait devenir un donneur d'organes à coeur arrêté... Bien, c'est déjà ça. Bon, faut faire vite également mais surtout plus ou moins commencer à en parler à sa femme : lui dire que son mari est décédé malgré les gestes de réanimation en cours (planche à masser, respi, défibrillateur,...) mais... que l'on peut prélever ses organes....... Je ne vais pas jusque là... C'est trop tôt et trop d'un coup... J'en parle à l'interprète pour qu'elle lui en parle vaguement pendant le trajet.

Au final, nous l'avons transporté dans les meilleurs délais et surtout dans les délais requis.

Hélas, il ne fut pas prélevé... Je ne sais pas bien pourquoi...

jeudi 17 octobre 2013

Des extrêmes

C'est fou comme au cours d'une garde, on puisse voir les extrêmes.
Je me rappelle une journée de smur bien remplie ayant commencé par un arrêt cardiaque non récupéré et ayant fini par un accouchement. Cela crée un certain équilibre.

Cette nuit : accident de la voie publique, un véhicule avec un couple à bord a été percuté violemment par un autre véhicule conduit par un homme alcoolisé qui venait de sortir de chez lui après s'être disputé avec sa copine. L'homme en état d'ébriété bien qu'il n'avait pas mis sa ceinture de sécurité et que sa voiture ait fini sur le toit, ne présentait pas de lésions. La chose étonnante fut que le couple, eux, présentait des douleurs diffuses, intenses à la moindre palpation (voire effleurement), insuffisamment calmées par les antalgiques bien que tous les examens réalisés ne montraient aucune lésion.

Cette même nuit : nous sommes intervenus au domicile d'un homme qui avait chuté d'une échelle la veille et à qui les examens faits dans un centre hospitalier étranger avait retrouvé une fracture de la boite crânienne ainsi qu'une contusion cérébrale. Le patient avait préféré sorti contre avis médical. Et voilà, que nous étions chez lui suite à une crise convulsive généralisée.

Ainsi, en une nuit, on peut voir d'un coté, des gens qui font tout pour avoir le maximum de "dommages et intérêts" pour charger le gars qui les a percuté et que vous n'arrivez pas à faire partir de vos urgences et de l'autre, une personne qui aurait eu tout intérêt à rester à l'hôpital et auprès de qui vous passez 30 minutes rien que pour le convaincre d'être transporté.

Cela fait penser à tous ces patients que vous n'arrivez pas à convaincre que vous connaissez votre travail et que si vous ne prescrivez pas de radios, biologie ou scanner, c'est peut-être parce que tout simplement ils n'en ont pas besoin. Mais bon, voilà, on leur a dit que c'était mieux si il avait tel examen ou leur voisin connait une personne qui a eu le même symptôme et à qui on a trouvé tel diagnostic. Et maintenant, c'est pire avec internet, google, sites de médecine et leur forum à la c... Lorsque je fais une recherche sur une maladie ou un médicament, je tombe invariablement sur les forums. C'est juste horrible à lire : des gens commentent toute décision thérapeutique. Comme celui sur lequel une personne conseille à une autre d'arrêter son traitement prescrit pour une maladie grave. Faut pas que l'on s'étonne si les malades ne prennent pas le traitement indiqué ou préfèrent voir 2, 3 médecins différents. Cela doit aussi expliquer pourquoi tant de patients viennent aux urgences en nous disant : "Mon médecin n'a pas voulu me prescrire de radios", "Le traitement que mon médecin m'a prescrit ne me fait rien alors je viens vous voir", "Mon médecin est en vacances et il a un remplaçant, mais je ne le connais pas"...

Et c'est pas prêt de s'arranger...

lundi 14 octobre 2013

Enfin, une urgence...

Au moins, pour une fois, je ne peux pas dire que je n'ai pas fait des urgences ces dernières 24 heures. Et c'est cela que j'aime dans ce travail : constater d'emblée un patient comme grave, l'examiner, lui tourner autour afin de ne passer à côté d'aucun diagnostic éventuel, prescrire les examens et les premiers traitements, revenir le voir, rester à côté de lui afin de voir comment il évolue, le réexaminer, réfléchir sur les premiers résultats biologiques ou radiologiques, demander des avis,...

C'est ça la vie d'un urgentiste. Et ce n'est pas examiner un traumatisme du 5ème orteil droit (c'est encore plus con que le gauche !!) survenu il y a 10 jours... Ce qui constitue le niveau zéro de la médecine d'urgence...

Aaahhhh, hier : plaie thoracique par arme blanche. Voilà, un vrai motif d'accueil. Bon, je ne vais pas me réjouir. Mais pouvoir faire enfin son travail et ce pourquoi on est payé à la fin du mois, cela fait du bien. Et puis, après tout, ce n'est pas moi qui lui ai donné un coup de couteau. Finalement, je suis juste content de pouvoir le soigner. C'est plutôt positif comme message, non ? En plus, plaie thoracique gauche (cette fois-ci, c'est mieux que le droit), donc du côté cardiaque. Diantre... Bon, le patient étant stable avec un examen sans particularité hormis une plaie de 7 cm sur le côté gauche, on ne suspectait pas de plaie cardiaque. Mais bon, faut pas cracher dans la soupe... Et d'une urgence, une !!!

En fin de nuit, sont arrivés un état de mal épileptique puis une suspicion de péritonite post-opératoire (à la suite d'une hémorroïdectomie, c'est ballot !!). Aaaahhhhh !!! Comme cela fait du bien de passer une bonne nuit comme celle-là !!!

Ce qui m'a amusé cette nuit ou plutôt celle qui m'a amusé fut le médecin réanimateur de garde : une femme, entre 55 et 60 ans. Je l'appelle pour le jeune ayant reçu un coup de couteau (le samedi soir, les esprits s'échauffent) et je l'entends souffler longuement au téléphone puis me demander sèchement des informations sur l'état du patient pour ensuite venir l'examiner. et je vois arriver un petit bout de femme avec des lunettes et les cheveux en bataille. Cette dernière me pose plein de questions d'une manière sèche et directe tout en me donnant des "ordres" que j'ai déjà effectué. Je me suis dit : "je ne sais pas ce qu'il lui faut. Un jeune avec une plaie thoracique, c'est quand même bien plus intéressant qu'une personne âgée en insuffisance cardio-respiratoire !!". Mais bon, un urgentiste doit savoir ravaler son égo et se plier aux exigences et volontés du spécialiste. J'ai un certain sens du respect de mes confrères même si je me sens souvent rabaissé inutilement. 

Alors évidemment, lorsque j'ai du la rappeler pour l'état de mal, je l'ai à nouveau entendu souffler longuement dans le téléphone puis me répéter plusieurs fois les mêmes questions. J'ai du la réveiller. Au moins, elle dormait, elle !! Mais bon, on a l'habitude d'entendre les spés ralés et pestés envers nous.

Bref, cette nuit fut intéressante et me donne envie de recommencer... Je crois bien que je vais être déçu...

mardi 8 octobre 2013

Une journée en enfer

Journée de merde hier avec le sentiment que nos urgences étaient le centre du monde, car des patients venaient d'un peu partout.
Une personne rentrée à peine d'Algerie voulait absolument voir un psychiatre pour sa sœur psychotique. Une autre adressée par le centre hospitalier de Genève pour consulter un neuro-chirurgien en urgence car son assurance ne couvrait pas les frais d'hospitalisation en Suisse...
Étant à proximité d'un aéroport international, nous recevons régulièrement des patients de retour de vacances. On pourrait penser qu'ils consultent pour des pathologies liées au voyage (turista, palu,...) mais souvent il s'agit de problème n'ayant pas de caractère d'urgence. Ils ont tout simplement préféré de ne pas voir de médecin à l'étranger soit pour ne pas payer soit par simplicité ou méconnaissance du système sanitaire local. Alors, à peine arrivé, il leur faut absolument voir un médecin. Comme pour ce traumatisme de la cheville datant de 3 semaines en Thaïlande ou cette plaie de main datant d'une semaine au Mexique...
Du coup, j'ai passé ma matinée à attendre l'infirmière psy et mon après-midi à contacter le neuro-chirurgien, à sélectionner les images scannographiques à lui envoyer parmi le millier à ma disposition, à le rappeler pour savoir si il avait vu les images pour m'entendre dire qu'il lui fallait aussi des coupes sagittales et ainsi de suite pour finalement qu'il me dise au bout de 5h30 que le cas du patient n'est pas chirurgical et qu'il faut que je contacte un oncologue (j'aurais du commencer par là).
Sans compter l'intertrigo à 20h qui dure depuis 2 mois et qui demande à être hospitalisé en urgence... Ou la douleur thoracique d'un jeune de 20 ans évoluant depuis 3 semaines.
Le plus fort ou plutôt la plus forte fut cette femme enceinte de 4 mois venue dimanche pour voir entre autre un gynécologue car elle avait décidé ce jour de se prendre en main. Depuis le début de sa grossesse (qui datait de "début juin ou je crois... Fin mai peut être"), elle avait juste fait un test de grossesse ("début juillet, mais non fin juin...") et n'avait vu aucun médecin ni fait aucune prise de sang. C'est fou de voir cela dans un pays comme le notre. Quelle insouciance et de venir tranquillement aux urgences juste parce qu'elle a envie de voir son bébé. J'ai peur pour l'avenir de ce dernier. La future mère était déjà venu il y a 14 mois, enceinte de 9 mois et était partie sans attendre les résultats de ces examens. Et là peut être par pitié pour le futur bébé, j'ai appelé le gynécologue de garde qui évidemment m'a dit qu'elle devait prendre rendez vous comme tout le monde. Le plus fou est que la patiente est déçue de ne pas pouvoir voir son bébé. J'ai comme eu l'impression qu'elle ne se rendait pas compte de sa demande et moi de ma connerie d'avoir appelé le gynécologue (par pitié pour le bébé, je précise).

Comment peut-on continuer à vouloir faire des urgences dans de telles conditions ?

dimanche 6 octobre 2013

Missionnaire un jour...

On commence à avoir l'habitude de traiter des "urgences" de plusieurs jours voire de quelques mois. Mais quel ne fut pas ma surprise de voir s'afficher sur l'ordinateur le motif d'entrée suivant : "gêne oculaire depuis novembre 2012". On est quand même en octobre 2013 !!! J'ai pensé alors : "Celui-là, il va pas y couper !!!"
En général, les patients avec un problème ophtalmologique se plaignent de ne pas pouvoir avoir un rendez-vous avant plusieurs mois. Mais dans ce cas, je pense qu'il aurait eu largement le temps d'y aller.
Mais bon, voilà, le patient est inscrit et installé.
Je rentre dans le box et là, je fais face à un homme cheveux courts, barbe de 3 jours, petites lunettes rondes, mince,... en soutane... Pas courant, comme tenue la soutane...
Du coup, forcément, il doit y avoir une raison à son motif d'admission
Le patient est prêtre au Kenya : le missionnaire comme on se l'imagine : mince, petites lunettes rondes, cheveux courts, barbe de quelques jours. Il me faisait penser aux personnages que l'on peut visualiser sur les vieux films en noir et blanc des expéditions en Afrique ou en Asie. Quel anachronisme, me suis je dit.
Calme et très sympathique, il m'expliqua qu'il travaillait en Afrique et ne revenait que 3 semaines par an et qu'hélas, du Kenya, il n'avait pas pu voir d'ophtalmologue (tu m'étonnes !!), seulement un médecin qui après lui avoir demandé de l'argent lui avait dit qu'il avait rien a l'œil (il a beau croire en son prochain, je pense qu'il a été vert d'avoir payé pour rien).
 Adorant les voyages et faisant un diplôme de parasitologie, j'avoue qu'il m'a beaucoup intéressé : cela faisait 5 ans qu'il était en Afrique (Guinée, Kenya,...), il a pris un bain en Guinée d'ailleurs.
Ne pouvant pas grand chose pour lui et pensant à une possible parasitose (Loase...), j'ai pu convaincre l'ophtalmologiste de l'examiner.

Ce patient m'a permis d'apprécier ma journée aux urgences... Merci, seigneur... Amen...

mercredi 2 octobre 2013

Pan, t'es mort

Un jour pendant mes longues études de médecine, le professeur a demandé à l'ensemble de l'amphithéâtre composé de jeunes cons futurs médecins qui avaient déjà vu un mort, un cadavre, un macchabée quoi. Un silence envahit d'emblée la salle puis quelques doigts se levèrent.
Mince, me suis je alors dit, je veux être médecin et je ne sais même pas comment je réagirais devant un mort...
Sur le coup, mes certitudes sur mon désir en mon futur métier s'ebranlérent. Si cela se trouve, je passais tout ce temps sur les bancs de la faculté pour me retrouver incapable d'exercer mon métier.

L'instant fatidique arriva lors des TP de dissection. Chaque étudiant devait disséquer une zone précise du corps humain.
On m'attribua la cuisse. Cool, ai je pensé, je n'ai qu'à ne pas regarder le visage et à rester concentré sur ma cuisse pour ne pas être dégouté.
En bref, je repoussais le moment...
En fin de TP, j'ai fini par lever la tête de ma belle cuisse bien découpée avec visualisation des artères, nerfs, veines et muscles et ai décidé de savoir à qui appartenait ce membre (respect tout de même à celui qui avait donné son corps à la science). Et là : j'ai vu une tête qui avait servi peu de temps après sa mort à de jeunes internes en chirurgie maxillo-facial : une grande partie du visage avait été incisée puis recousue ce qui lui donnait l'aspect de Frankestein après un match de boxe contre Mike Tyson : bardée de sutures, œdèmatiée avec de multiples hématomes. L'horreur... Jamais vu pire dans tous les films de genre que j'ai pu voir...
Depuis, j'ai eu mon lot.
J'ai vu suffisamment de gens rendre leurs derniers souffles. La première fois, je m'en rappellerais toujours : jeune interne de garde, une infirmière d'un service m'appela pour un patient en insuffisance cardiaque. En entrant dans la chambre, j'ai trouvé un patient inconscient ayant des difficultés respiratoires avec sa fille présente à ses côtés. Le temps de demander conseil par téléphone au médecin d'astreinte, quand je revins les voir, sa fille pleurait et j'ai pu voir nettement le patient prendre une grande inspiration puis expirer pour la dernière fois. C'était irréel : cela m'a tout de suite fait penser aux films dans lesquels les acteurs respirent profondément avant de mourir.
Depuis, j'ai vu des gens morts par ingestion de médicaments, par inhalation de nourriture ou de vomi, par pendaison, par pistolet, fusil, pistolet d'alarme, par couteau suite à un suicide ou par agression, d'autres par accident : en voiture, moto, vélo ou simple piéton, en randonnée, en ski, en parapente, en se noyant, certains par maladie : insuffisance respiratoire ou cardiaque, cancer, inhalation.
Mais, je ne pense pas encore avoir fait le tour de toutes les façons de mourir (par exemple, je n'ai pas encore fait un décès par choc avec un train. À priori, c'est les morts les plus longs que l'on peut avoir à déclarer : 150 mètres en moyenne), mais cela a développé en moi le sentiment de pouvoir mourir à chaque instant (car la très grande proportion des décès que j'ai constaté ne s'y attendaient pas) et un certain humour noir (pas apprécié à sa juste valeur selon moi...) qui m'a rendu un brin cynique.
Bref, alors qu'au début, j'appréhendais de voir des cadavres, j'ai l'impression maintenant d'être devenu un catalogue de toutes les différentes façons de mourir. Et cela n'est pas facile à placer en société ni vraiment apprécié (à sa juste valeur) en soirée. Dommage, car j'ai plein d'anecdotes croustillantes...