mercredi 27 novembre 2013

AVP du matin. Chagrin...

J'ai pour habitude d'arriver en avance quand je suis de smur, car je connais trop le désespoir qui envahit le médecin finissant ces 24 heures lorsque retentit le bip pour une intervention à quelques minutes avant l'arrivée de la relève. Et alors que je bois tranquillement mon café, j'entends le bip et la voix du médecin de nuit râlant et peinant à avancer dans le couloir. Mais quel sourire à ma vue et ce soulagement...
Bref, c'est parti : AVP du matin. Chagrin...
Un jeune qui doublait en pleine heure de pointe s'est pris une autre voiture de face. Les voitures sont méconnaissables, en travers de la route. On ne sait pas d'où elles venaient. Je commence par aller voir le jeune entouré de nombreux pompiers et infirmier pompier. A priori, il doit être le plus grave. Je fais le tour de la voiture, le conducteur est entouré de couverture. Je ne vois pas immédiatement son visage. Pendant une seconde, je me demande si il n'est pas déjà trop tard. Je demande à l'examiner : conscient (ouf...), mais pâle, très pâle. Déjà perfusé. Tension ? 10/8. Pincé. Pouls ? 47. Bradycarde. Saturation ? Pas de saturation. Mauvais, tout ça. Très mauvais. Remplissage. Morphine. Je l'examine. D'emblée, je remarque la fracture ouverte du fémur gauche. Incarcéré au niveau des jambes. Il sent ses jambes, bougent ses pieds : pas de trouble neurologique. Tentative de palpation thoracique et abdominale : douleur thoracique droite et abdominale. J'écoute les poumons : diminution du murmure vésiculaire à droite : hémothorax ? contusion pulmonaire ? J'écoute le coeur : ouf, cela me rassure, il bat à environ 80/min. Il n'est pas bradycarde. C'est déjà ça de gagné.
Je vais examiner l'autre victime : une femme qui devait ouvrir son restaurant pour la première fois ce jour. Son mari me lance des éclairs et me laisse à peine la place pour l'examiner. Mon examen ne décèle rien de grave. Je vois toujours le mari taper du pied dans les débris et vider la voiture de sa femme. Je passe un pré-bilan au Samu : 1 blessé grave thorax-abdomen-fémur et 1 blessé léger.
Je me rapproche du jeune homme et mon ambulancier me fait remarquer une boite de médicament retrouvée à côté du véhicule : méthadone. Ok, j'enregistre.
Le jeune est toujours conscient, toujours pâle. J'hésite à demander du sang, mais la tension est stable et l'hémocue à 12. Les pompiers travaillent à couper les montants de la voiture pour enlever le toit : ils n'arrêtent pas, sont environ 5 à tourner autour avec leurs pinces, à mettre des câles. Et moi et mon équipe, on tourne comme des avions, frustré de ne pas pouvoir faire plus et inquiet. Si le gamin désamorce et se met en arrêt, c'est fichu, on ne pourrait rien faire. Essayer de faire une réanimation sur un patient traumatisé, assis et incarcéré : aucune chance...
Au bout d'une demi-heure, on commence à en voir le bout. Le break est devenu une décapotable. Plus qu'à repousser le moteur pour dégager les jambes. On recule et on abaisse son siège au maximum. on glisse le plan dur. On est environ 8 pour tenir le plan dur et soulever le patient. Je tiens le fémur fracturée et la jambe gauche. Au moment de le sortir complètement, ses pieds sont coincés sous les pédales. Petit temps pour les dégager. Puis, transfert vite vers le VSAV pour mettre au chaud le patient.
On coupe tout. Je l'examine plus attentivement, effectue un bloc fémoral, met le membre inférieur en traction avec l'aide des pompiers. Le bilan confirme ce que l'on craignait : tension pincée, tachycarde à 100/min, hypoxie avec saturation à 90% en air ambiant, hémocue à 10. Bon, faut rouler. Cela va bientôt faire une heure qu'on est sur place.
Et là, le patient nous dit : "Les clefs de ma voiture sont dans la poche de mon jean. Faut la fermer, j'ai mes outils dedans." On se regarde puis l'infirmier pompier lui répond : "Comment te dire ? Ta voiture ressemble plus à un coupé décapotable maintenant...". On rigole, cela fait du bien.

Question morphine : évidemment, pour réussir à être efficace, on est obligé d'administrer de fortes doses.
Le bilan réalisé à l'hôpital confirme ce que l'on supposait en pré-hospitalier : hémo-thorax et fracture de côtes droits, fracture hépatique et splénique sans blush au scanner, fracture de l'avant-bras gauche et fémorale gauche.
On appelle les chirurgiens viscéral et orthopédique. Le réanimateur déjà prévenu et sur place pose une voie veineuse centrale et un cathéter artériel. J'effectue un drainage thoracique ce qui permet de faire une auto-transfusion d'un litre. Puis passage au bloc opératoire pour réparer ces lésions...

Et voilà, une matinée de passer et la satisfaction d'avoir fait du bon boulot.

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