samedi 16 février 2013

"j'ai mal depuis 4 mois"

Régulièrement des patients viennent pour des troubles évoluant depuis plusieurs jours voire plusieurs semaines quand ce ne sont pas des mois. Cela parait incroyable : "j'ai mal à l'épaule droite. Cela fait 4 mois, alors j'aimerai bien savoir ce que j'ai". Et alors une chose étonnante doit surgir dans l'esprit des patients : cette durée parfois très longue évoque pour eux un degré élevé d'urgence : "c'est urgent, cela fait quand même 4 mois. J'aimerai bien savoir ce que j'ai". Il est alors de notre devoir de leur expliquer 2 choses :

  • 1 - nous faisons des urgences. Et une durée chronique nécessite effectivement des investigations, mais surement pas aux urgences et en urgence,
  • 2 - en 4 mois, il aurait bien pu prendre rendez-vous avec son médecin, un spécialiste et réaliser les examens nécessaires.
Mais peut-être que je m'y prend mal, mais évoquer seulement le premier point soulève une indignation de la part du patient : "quoi, mais vous servez à quoi alors ?" (effectivement, on sert à quoi ? à faire des arrêt de travail le lundi matin ; à recueillir tous les gens ivres le samedi soir et les SDF par période de grand froid) ; "je veux savoir ce que j'ai alors je veux avoir une radio !!" (et le s'il te plait ?). J'ai alors le sentiment que l'on nous prend pour des distributeurs d'examen : un scanner ? bien sur, monsieur, 1er couloir à droite. Un test de grossesse ? c'est tout droit. Un arrêt de travail de 1 mois ? je vous le fais dans 5 minutes. Et quand j'en arrive au deuxième point, j'ai droit soit à des excuses plus ou moins foireuses : "j'étais en vacances et là ou j'étais, je ne pouvais pas avoir de médecin", "je travaille et n'ai pas le temps", soit à des attaques : "vous voulez pas travailler ou quoi ?" (j'ai été formé à l'urgence, je suis urgentiste, je travaille dans un service d'urgence, je veux juste faire des urgences, pas des renouvellements d'ordonnance ou des arrêts de travail...), "j'ai cotisé toute ma vie, j'y ai droit" (et après on s'étonne du trou de la sécu...).
Ils ne comprennent pas qu'on veut bien les aider et c'est ce que nous faisons en éliminant d'abord une éventuelle urgence et ensuite en les redirigeant vers la filière adaptée. Nous sommes urgentistes, pas rhumatologues, ophtalmologues ou ORL. Nous ne savons faire que des urgences, donc le patient sera mal examiné, les examens peut-être mal adaptés et le traitement surement inefficace. Et sur qui va t-on se plaindre en cas de mauvais traitements : sur l'urgentiste qui n'avait pas à s'occuper de ce cas si il n'en était pas capable. Et c'est bien cela que nous redoutons.
Alors pourquoi les gens se présentent-ils aux urgences pour ce genre de pathologie ? Parce que dans la tête des gens : probablement, que urgence rime avec rapidité : en allant aux urgences, je serai pris en charge rapidement, je pourrai voir un cardiologue, un rhumatologue. Peut-être croient ils que les spécialistes attendent juste derrière la porte d'entrée. Ce qui est dommage est que nous n'arrivons pas à leur expliquer nos raisons de ne pas leur faire d'examens. On a le sentiment que les urgences ne servent qu'à faire des examens, que notre examen médical ne sert à rien, que notre compétence n'est pas reconnue.
Et cela devient de plus en plus fréquent et de plus en plus difficile à accepter. Aussi, résignés, souvent nous faisons les examens avec parfois des commentaires narquois ou ironiques de la part de nos confrères spécialistes qui ne comprennent pas qu'on ait pu accepter cela.
Il faudrait éduquer le public, leur expliquer comment fonctionne le système de soins... C'est pas gagné et cela ne fait que s'aggraver....

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