mercredi 27 mars 2013

Merci Marina et Michel

Hier soir était diffusé un reportage intitulé "Quand la médecine abuse de son pouvoir" suivi d'un débat animé par les Dr Carrère d'Encausse et Michel Cymes. Le titre évoque une médecine toute puissante profitant pour faire des actes (biologiques, radiologiques ou chirurgicaux) non justifiés. Mais le reportage puis le débat a ensuite évoqué la pression engendrée par les patients et les laboratoires sur les médecins.

Et effectivement, on ne parle pas assez de cette pression que nous avons tous les jours sur les épaules.
Je connais le résultat de nombre de radiographies que je prescris, tout simplement parce qu'à mon sens, je n'avais pas à les prescrire. Je l'ai fait simplement parce que le patient ou sa famille me l'a demandé : "vous pensez pas qu'il faudrait être sur qu'il n'y a rien de cassé ?" alors que la patiente a reculé à son travail et tapé son coude contre le mur (véridique !!) ? Je l'ai fait aussi parce que je sais bien que la personne vient aux urgences surtout pour le plateau technique (radiographie, biologie) : tout est sur place, elle n'aura pas à se déplacer au laboratoire ou au cabinet de radiologie.
Un jour, après avoir examiner une cheville aux urgences et en suivant les critères d'Ottawa, j'explique au patient qu'il n'y a pas d'indication à réaliser une radiographie et je lui prescrit le traitement et la kinésithérapie comme je l'ai appris. Je ne fus pas surpris quand quelques jours après, on m'a annoncé qu'il était revenu parce que le médecin (soit moi) n'avait pas fait de radiographie la première fois. Et évidemment, pour éviter toute discussion, il a pu avoir sa radiographie qui s'est révélé sans lésion osseuse... Ce qui fait qu'au total, le patient a eu droit à 2 examens médicaux. Ainsi, souvent, pour éviter toute discussion, je prescris d'emblée les examens, ce qui m'évitent de longues discussions et des désaccords avec mes patients. Mais, dans ces cas, je ne suis pas satisfait de moi : je ne comprends pas pourquoi on ne me fait pas confiance ; ils viennent pour être examiné (en fait, ils viennent surtout pour la radio et quelle chance, ils ont droit également à un examen médical) par une personne dont c'est le travail et qui ne fait que ça. Quand, personnellement, je fais appel à un plombier ou à un électricien, je ne suis pas là pour lui apprendre son travail. Je lui fais confiance et je me range à son avis.

Mais mon attitude va surement changer après avoir vu le reportage et le débat : un invité a bien précisé que c'est au médecin de poser l'indication des examens et des actes et non au patient. Cela m'a fait du bien d'entendre cela : cela m'a rassuré. Aussi, j'ai bien envie d'écouter plus ma conscience que le patient au risque d'avoir des discussions animées et couteuses en temps et en patience.

On verra bien.

En tout cas, bravo aux Drs Cymes et Carrére d'Encausse d'avoir proposé ce débat : c'est un sujet que l'on n'évoque pas assez...

mardi 26 mars 2013

Enfin libre

Ce que j'apprécie de sortie de garde... c'est la sortie. Il est 8h du mat. Je me réveille tranquillement, me prend un café, salue les collègues du jour qui viennent d'arriver et qui ont toujours un mot pour la nuit que je viens de passer : "comment ça s'est passé ?" "t'as pu te reposer un peu ?". Cela me fait du bien qu'on pense à moi même si je sais bien que c'est aussi pour se rassurer : ils se disent que si la veille et la nuit ont été tranquille, peut-être auront-ils les mêmes. On se rassure comme on peut, car de toute façon les jours et les nuits aux urgences se suivent mais ne se ressemblent pas.

Ensuite, je prend mon temps. De toute façon, je ne pourrais pas aller vite. Après une garde, je fonctionne au ralenti, je suis en mode "pilotage automatique" : tout ce que je fais est effectué sans que j'en ai réellement conscience. Je sais où je vais car je fais le même chemin tous les jours. Je n'ai pas besoin de réfléchir. Je passe mon badge pour ouvrir la porte du vestiaire, ouvre mon casier après avoir déverrouillé le cadenas à code (que j'ai acheté après avoir oublié la clé du cadenas dans le casier fermé après une nuit de garde...), me change, jette ma tenue dans le panier (c'est un petit plaisir que de jeter cette tenue blanche immaculée après une nuit) puis rentre. Et là, aussi, je roule en mode automatique. Parfois, j'ai comme l'impression de me réveiller au volant après avoir roulé plusieurs kilomètres sans même m'en être rendu compte. Et là, je prend un peu peur : aurais-je eu le réflexe d'éviter un objet ou une personne qui se seraient mis en travers de ma route ? A ce moment, je me redresse, secoue un peu la tête pour chasser les petits grains que le marchand de sable commence à me saupoudrer et me concentre sur la route. Ce serait trop bête de retourner aux urgences en tant que patient...

En général, je ne dors pas après une garde. Pendant le travail, je n'arrête pas de penser à tout ce que je dois faire à la maison, les papiers à remplir, les rendez-vous à prendre. Mais une fois chez moi, je fais essentiellement des actes manuels : vaisselle, ménage... Il m'est difficile de prendre une décision. Il m'est aussi difficile d'être patient (l'adjectif cette fois, pas le nom commun), alors je préfère ne pas me prendre la tête avec mes proches et je laisse passer pas mal de choses.

Par contre, ce qui m'est primordial est de sortir, de prendre l'air, de voir des gens, mais pas n'importe quelle personne : des gens bien portants, saines de corps et d'esprit. Je me balade dans la rue, regarde le ciel, les montagnes, le lac, hume l'air, apprécie cette "liberté". Je prends mon temps, apprécie de voir des gens marcher, des gamins courir et jouer sans douleur, sans plainte... Ouf, tout n'est pas carré, blanc, aseptisé, sans relief ni ciel bleu. Ouf, tout n'est pas que douleur, sang, selles jaunes, vertes, fracture ouverte, pleurs,...

Bref, en sortie de garde, je me sens libre...

vendredi 22 mars 2013

Un verre ça va...

J'ai lu un article qui expliquait qu'il y a une augmentation de 30% des hospitalisations liées à l'alcool en 3 ans. Souvent, autour de moi, on me demande les problèmes que je peux avoir avec la drogue aux urgences. Sous-entendu : héroïne, cocaïne et surtout cannabis. On sait tous que cette dernière est très répandu, menace nos enfants à l'école et est responsable d'accident de la route, de retard scolaire, voire même de schizophrénie (vaste débats). Bref, on me demande donc souvent si on reçoit beaucoup de jeunes intoxiqués.
Ma réponse a tendance à les surprendre : oui, c'est vrai, on a un réel problème de drogues aux urgences ; oui, c'est vrai, on accueille beaucoup d'intoxiqués. Mais ce sont des intoxiqués à l'alcool :
- ivresse sur la voie publique amenée par la police
- jeunes en état d'ébriété amenés par les pompiers ou des amis
- accident de la route du du moins en partie à l'alcool
- accident du travail
- malaise à domicile ou lors d'un repas
- sans oublier toutes les conséquences de l'alcoolisme chronique : cirrhose, cancer, hémorragie digestive, dépression, Korsakoff, décès

Et oui, pas facile d'être alcoolique...
Bref, notre plus gros problème de drogue concerne l'alcool et en plus c'est en vente libre (on n'imagine pas une seule seconde des bureaux de cannabis) et cela ne choque personne qu'une drogue aussi dépendante et causant autant de problème de santé publique puisse être vendu.
J'ai coutume de dire que si tous les alcooliques fumaient du cannabis au lieu de boire, on aurait beaucoup moins de problème : ils seraient tous affalés dans leur canapé au lieu de se taper dessus...
Au lieu de cela, régulièrement, des familles nous amènent un patient pour un sevrage. Les proches sont inquiets et surtout ne savent plus à qui faire appel pour sauver leur frère, sœur, femme, fils ou ami du naufrage par l'alcool. Les urgences leur semble sinon une solution du moins une porte d'entrée pour l'hôpital. Et grande est leur déception de s'entendre dire que cela ne peut se faire en urgence, que cela se prépare et se programme pour se donner toutes les chances de réussite. Évidemment, encore une fois, on passe pour des assassins : "il n'a plus qu'à mourir", "il est en train de se tuer", "bravo, elle est belle la médecine !!". Le plus drôle (ou le plus triste plutôt), est que la personne devant se faire désintoxiquer est à ce moment là sous l'emprise de l'alcool et vous dit d'une voix ébrieuse ce que ces proches ont réussi à obtenir : il veut bien essayer. Difficile de le croire...

mardi 19 mars 2013

Et cela fait à peine 2 heures...

Cela fait à peine 2 heures que j'ai commencé ma journée aux urgences et vu 3 patients et je suis déjà dépité :

1 - une dame de 84 ans se présente pour des douleurs abdominales - depuis quand ? Depuis que je la connais, me dit sa fille d'au moins 55 ans... Et en plus, elle avait déjà été dans un autre service d'urgence qui avait diagnostiqué une constipation.

2 - une dame de 80 ans est adressée par son médecin traitant pour anomalie sur la radiographie pulmonaire du 16/3 (nous sommes le 19/3) sans symptôme et pose la question de la réalisation d'un scanner. Cela aurait été dommage de prendre rendez-vous soi-même.

3 - une 3ième dame de 30 ans vient pour des maux de tête et pour passer une IRM cérébrale qu'on lui a prescrit il y a 2 jours. En lui expliquant qu'on va essayer de calmer ces douleurs, elle me demande : "mais je vais passer un scanner ?". Et moi qui croyait qu'elle venait parce qu'elle avait mal à la tête...

dimanche 17 mars 2013

Retour à la case départ

L'avantage de travailler aux urgences, c'est que l'on recommence toujours à partir de zéro. C'est à dire que vous n'avez pas de patients à suivre, à revoir dans votre service ou en consultation. Pour chaque journée ou nuit de travail, vous avez toujours affaire à de nouveaux patients, de nouvelles pathologies, de nouvelles familles et à de nouvelles situations auxquelles il faut apporter une solution rapide et adaptée.

Et ainsi, dès que vous avez fini votre taf, vous n'avez plus qu'à partir en sachant que l'on n'aurez pas à revoir tous ceux que vous avez rencontré et soigné. Sincèrement, c'est plutôt un avantage : pas de maison de retraite ou de repos à trouver depuis un mois pour une personne âgée démente et grabataire que personne ne veut, pas à revoir ce patient dépressif aux tendances suicidaires qui refuse d'être hospitalisé, ni celui alcoolique qui nie son addiction et dont la famille veut absolument faire hospitaliser pour le sevrer (ce qui a alors toutes les chances d'échouer, mais l'expliquer conduit à s'entendre dire qu'on veut rien faire pour lui et qu'il n'a plus qu'à mourir...).

L'inconvénient est la méconnaissance du devenir de nos patients pris en charge aux urgences. Si on ne cherche pas par nous-mêmes à obtenir des informations, on ne sait que rarement ce qu'ils deviennent et quand on le sait, c'est qu'en général, on s'est trompé ou qu'on a oublié quelque chose. Ce n'est que rarement qu'un patient ou sa famille nous remercie de notre prise en charge. Ce n'est pas cela que l'on recherche, mais malgré tous les défauts que peuvent avoir les structures d'urgence, ceux qui y travaillent essaient souvent de faire de leur mieux avec les moyens qu'on leur donne et un peu de reconnaissance est toujours la bienvenue et permet de continuer le "combat". Cet inconvénient peut nous empêcher de progresser : on peut ainsi examiner toujours de la même façon un genou traumatisé ou une douleur abdominal (je parle bien sur d'un patient présentant un traumatisme au genou ou une douleur abdominale. Cela peut paraître réducteur de ne voir d'un malade que son problème médical, mais c'est une façon de parler et non de voir) et reproduire sans cesse les mêmes gestes sans savoir que l'on ne fait pas bien. Et cela est aussi le cas pour le traitement : on peut traiter un infarctus comme on l'a appris il y a 10 ans sans savoir que la médecine a évolué, si on ne se tient pas au courant ou si on ne se discute pas avec des confrères. Bref la médecine évolue, change et il est important de nous tenir à la page et cela est un devoir, mais il faut trouver le temps de le faire.

Bref, dans mon cas, après être sorti des urgences ce matin, retour à la case départ demain...

lundi 11 mars 2013

Sérieusement...

Je prends la défense des urgences. Normal, étant urgentiste, difficile d'être objectif, mais bon sérieusement : est-il normal qu'une mère vous amène sa fille de 16 mois qui boite depuis qu'elle a marché sur des morceaux de verre ayant entrainé une plaie de la plante de son pied droit il y a 3 semaines ? 
Est-il normal qu'une mère vous amène son fils de 17 ans qui a mal aux oreilles depuis une semaine dès qu'il y a du bruit ?

Même en sachant que le verre ne se voit pas sur les radiographies standards, je n'étais pas sur de la mère alors j'ai commencé par une radio et là...  Bingo !! : une aiguille en fer dans le pied de sa fille de 16 mois !!?! Hallucinant, non ? Et voilà, une petite qui va avoir une anesthésie générale pour un corps étranger qui aurait pu être enlevé dès le traumatisme...

Pour le grand de 17 ans, après leur avoir expliqué qu'il fallait consulter un ORL sans urgence, je me suis dit que je pouvais essayer de faire avancer les choses en demandant un avis téléphonique et là... Bingo pour le patient car l'ORL a accepté de les recevoir. Si c'est pas magnifique, ça !! Suffit de venir aux urgences pour consulter un spécialiste. La prochaine fois, je les imagine bien revenir en expliquant que la dernière fois, il avait pu voir un spé... Trop facile, je vous dis !!!

jeudi 7 mars 2013

"Ils sont obligés de vous prendre"

Comme je l'ai dit, j'effectue des rapatriements, ce qui me permet d'avoir une autre relation avec le patient et de découvrir leur impression sur les urgences.
La semaine dernière, j'ai rapatrié une patiente sur une clinique située non loin de Paris. Arrivé dans le service, l'infirmière nous signale qu'elle ne nous attendait pas si tôt et que le "lit n'est pas prêt" (c'est fou le nombre de fois que j'ai pu entendre cette phrase...). En général, lorsque ce cas se présente, on installe la patiente en salle d'attente le temps que le lit soit prêt.  Ce qui aurait été possible même si il fallait de l'oxygène. Mais non , cette fois-ci, ce n'était pas possible et j'entends alors de la part de l'infirmière cette phrase magique : "vous n'allez qu'à aller aux urgences". Suis-je bête, pourquoi n'y ai je pas pensé plus tôt... C'était évident pourtant. Comme le lit n'était pas prêt pour la patiente qui était hospitalisé dans un précédent hôpital depuis 2 semaines aux urgences, en réanimation puis en pneumologie, alors qu'elle était attendu et prévu, autant aller aux urgences... Logique... Comme si c'était leur travail de faire de l'hébergement, du gardiennage, comme si c'était une salle d'attente.
Travaillant moi-même aux urgences et me mettant à la place de mes confrères de la clinique, je m'insurge, je m'exclame. L'infirmière décide de demander au médecin du service qui évidemment confirme et me dit cette phrase qui résume tout : "De toute façon, ils sont obligés de vous prendre !!". Cela résume bien ce que les gens peuvent penser des urgences : on ne se pose pas de questions et on y  va car ils sont obligés de vous prendre !!!

Bien sûr, parce que, nous, urgentistes, on pense à la patiente qui a fait 6 heures de route en ambulance et qui n'a pas envie de faire encore des allers-retours dans la clinique où elle était attendue...

Evidemment, la suite de l'histoire va de soi. Pas le choix, nous sommes allés aux urgences. L'infirmière et le médecin offusqués, ont d'abord refusé et après avoir appelé le médecin du service, se sont occupés de la patiente alors que le service était plein. Merci à eux...

lundi 4 mars 2013

À mi-temps

À côté des urgences, j'effectue des rapatriements sanitaires. Et cela depuis 2 ans.
Avant cela, je travaillais à temps plein, mais la succession des jours et des gardes, le manque de sommeil, le stress s'accumulant et engendré par la quantité toujours plus importante de patient et la gravité de certaines pathologies ainsi que la peur de passer à côté de quelque chose de plus grave qu'évoquer au premier abord sans compter les quelques plaintes et la faible reconnaissance des patients et de l'administration de l'hôpital ont fait que pour ma santé physique et mentale, pour mon moral et pour éviter que tout cela ne retentisse sur mes proches, j'ai décidé de passer à mi-temps. Encore qu'un mi-temps correspond à travailler 24 heures par semaine (comme un temps plein de professeur des écoles...). Cela en théorie : car avec le manque d'urgentiste, il nous arrive de travailler jusqu'à 60 heures (soit plus qu'un temps plein !!!) par semaine.
Pourquoi ne pas arrêter alors ? Je suis medecin, donc je gagne bien ma vie (les idées reçues ont la vie dure...), je ne connais pas le chômage, je pourrais m'installer en cabinet ou ne faire que des rapatriements... Alors pourquoi ne pas arrêter ?
Et ben, je ne peux pas arrêter car j'aime mon métier (et oui...) et passer du temps avec mon équipe et mes patients et je n'ai pas usé tous mes fonds de pantalon sur les bancs de la fac pour rien. J'aime traiter des cas graves (c'est la finalité du métier d'urgentiste), suer dans ma blouse pour sauver une personne qui a été éjecté par une voiture, monter 4 par 4 les escaliers pour arriver le plus vite possible au 4ème étage pour un arrêt cardiaque. Mais... je n'aime pas inciser un panaris à 3 heures du matin, ni renouveler une ordonnance.
Bref, je fais des rapatriements sanitaires et cela n'a rien à voir. Je ne gère qu'un patient à la fois, je prends le temps de discuter avec, de le comprendre, de lui expliquer ce qu'il a eu et ce qui l'attend. Souvent, je dois lui expliquer ce qui s'est passé aux urgences, pourquoi il a attendu, pourquoi personne ne lui a rien dit (hélas) sur ce qui se passait, pourquoi il n'a pas eu de chambre rapidement...
Cela m'aide à faire des efforts envers les patients que je traite par la suite à l'hôpital et me rappeler qu'ils sont des personnes avant tout et non "encore une entorse de genou au ski" ou "ieme alcoolisation sur la voie publique"....