mercredi 19 février 2014

Personne n'est devin

Beaucoup de patient me demande après les avoir examiné : "C'est grave ?". Cette question me fait sourire : "C'est à dire ? C'est quoi pour vous, grave ?". Sur le coup, ils ne savent pas quoi répondre, n'osent pas dire ce qui les tracassent vraiment : "Est ce que je risque de mourir ?". C'est cette angoisse qui les tenaille et ils ont besoin d'être rassurés. Dans la très grande majorité des cas, il n'y a rien mais alors absolument rien de grave, c'est à dire qu'ils ne sont pas prêt de mourir. En fait, "grave" n'a pas la même signification pour moi, je fais le distinguo entre ce qui est bénin, aiguë, chronique, grave ou potentiellement létal.
Hélas, cette nuit, j'ai du dire à 3 adolescents dont le plus âgé a 18 ans que leur mère avait quelque chose de grave mais quelque chose de vraiment grave. Cette fois-ci, je ne leur ai pas demandé ce qu'ils entendaient par "grave", car je ne voulais pas être obligé de répondre que oui, leur mère risquait bel et bien de mourir.
Au cours de cette nuit difficile, le Samu nous déclenche vers 3h30 à peine rentrés d'intervention pour une dame de 44 ans inconsciente. Arrivés au domicile, on découvre une dame aréactive en anisocorie (1 pupille en myosis et l'autre en mydriase). Comme elle est en PLS, j'en profite pour ausculter ces poumons et constate alors qu'elle est en arrêt respiratoire avec un pouls palpable. On est arrivé juste avant qu'elle ne se mette en ACR. Rapidement, on la place sur le dos, l'infirmière la perfuse, je l'intube et la place sous respirateur. Aucune réaction de sa part... Un tel état ne laisse que peu de doute sur l'origine de son coma : une hémorragie méningée massive avec engagement. Faut aller très vite pour l'amener dans un centre de neuro-chirurgie, même si la partie semble déjà perdue.
Je laisse les pompiers la coquiller et me dirige vers les personnes habitant avec la patiente : 3 adolescents dont le plus agé n'a que 18 ans. Leur mère est divorcée. Elle s'est plainte la veille en début de soirée de maux de tête importants puis vers minuit a présenté une difficulté à parler. Les enfants ont alors cru que leur mère était juste très fatiguée jusqu'à qu'elle ne réagisse plus vers 3h du matin. Je leur explique que je crains une hémorragie intra-cranienne, qu'on fait le maximum pour elle et qu'il nous faut aller très vite. Et là, tombe la question redoutée : "C'est pas grave au moins ?". Ben, si, elle va surement mourir... Je ne leur ai dit pas. Trop tôt, trop jeunes, et ce n'est pas à moi de leur dire. C'était dur de les voir réaliser progressivement ce que je n'osais pas leur dire, je voyais dans leurs yeux la peur de perdre leur maman. Les 2 plus jeunes se sont mis à pleurer, l'aîné assurant son rôle. Je suis descendu m'occuper de leur mère, leur père devant arriver.
Arrivés au déchocage et après quelques examens, le réanimateur n'a fait que confirmer ce que l'on craignait : on ne pourrait pas la sauver. "Au mieux", on pourrait prélever ses organes...
Je ne peux pas m'empêcher de repenser après coup aux enfants. Ils font probablement s'en vouloir toute leur vie de n'avoir pas appeler plus tôt les secours. Trois ou quatre plus tôt, on pouvait la sauver, mais ils sont jeunes. Comment auraient-ils pu savoir que leur mère était dans un état grave et ce qui allait se passer. Ils n'ont pas à se sentir coupable, ils ne savaient pas. Hélas, j'ai peur qu'ils aient le sentiment d'avoir tué leur mère...

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