mercredi 26 février 2014

Alcool + moto = fauteuil - 2 -

Ça y est, j'ai enfin rencontré mon patient paraplégique. Lundi, en prise au déchocage avec un patient faisant des malaises sur une bradycardie irrégulière, on m'informe qu'un jeune patient paraplégique à demandé de mes nouvelles. Mince, me suis-je dit, le voilà de retour. En plus, il y avait toutes les chances pour que ce soit moi qui m'occupe de lui. Mais bon, fallait bien que ce moment arrive.
Quelques minutes plus tard, je me présente à lui. Évidemment, il ne me reconnaît pas. D'emblée, je le tutoie (finalement, l'avoir intubé, sédaté, réduit ses fractures, perfusé, transfusé et transporté rapproche, non ?). C'était comme si je retrouvais un vieux camarade perdu de vue. Je me sentais proche de lui et même, malgré ce que j'aurais cru, cela me faisait plaisir de le voir. Je me suis présenté et à l'annonce de mon prénom, j'ai senti un soulagement chez lui. Je lui ai demandé comment il s'en sortait : "bien, faut garder le moral". Puis, est ce qu'il se rappelait l'accident. "Wouhai, je me rappelle le 4x4 puis plus rien, je me suis réveillé, j'avais mal à la tête et au dos". Après une petite pause : "je comprenais pas, je sentais pas mes jambes". Et là, j'avais envie de lui parler de ce que j'avais vécu avec lui : "T'a t'on raconté ce qui s'est passé après l'accident ?"
"- Bah, on m'a dit que c'était pas beau et que tu (au début, il me vouvoyait mais je lui ai demandé rapidement de me tutoyer) avais fait tout ce que tu pouvais"
Je me suis rendu compte que je ne lui en voulais pas finalement. À le voir, paralysé à partir du thorax, ne rien sentir en dessous des mamelons, avec un bras gauche bougeant difficilement tout en gardant le moral, je le trouvais vraiment courageux et touchant. Par moment, je m'étais demandé si j'aurais du en faire autant. Je ne pouvais pas savoir ce qu'il deviendrait, mais sauver un patient qui passe tout son temps allongé valait il la peine de se battre ? La réponse est évidente, je sais : nous devons tout faire pour préserver la vie, mais parfois je m'étais demandé si c'était vraiment une "vie" que d'être dans son état. Le voir maintenant en vie malgré son bras gauche, son ventre et ses jambes flasques me confirmait que j'avais bien fait.
Je lui ai raconté ce que j'avais vécu : l'arrivée de nuit et dans le froid, la vision de ses jambes pliées en des angles impossibles, son geignement qui depuis me revient régulièrement aux oreilles, le sentiment et la peur de pouvoir le perdre à tout moment, le poids sur mes épaules de son devenir, les "ordres" que je n'arrêtait pas de dire, crier à mon infirmière, ambulancier, aux pompiers pour que tout aille vite et bien, la pose de la ceinture pelvienne, du collier cervical, la traction sur ses jambes pour les remettre dans l'axe et les tracter, l'intubation, le sentiment et la peur d'une hémorragie interne qui m'ont fait demandé du sang et un helicoptére. Tout cela est sorti tout seul et m'a fait beaucoup de bien. Je pouvais enfin lui dire directement ce que j'avais vécu et ce que j'ai ressenti par "sa" faute...
Il m'a écouté, haussant régulièrement les sourcils et ouvrant la bouche de stupeur au moment des passages les plus difficiles. Je le remercie pour cela. J'avais besoin qu'il sache que je m'étais battu pour qu'il vive et j'avais besoin aussi de me rendre compte qu'il ne m'en voulait pas de l'avoir sauver pour se retrouver dans cet état.
Ensuite, ce fut son tour de me raconter son périple : la réanimation, la compréhension qu'il ne remarcherait plus jamais, les 6 mois de rééducation dans un centre, le retour à la maison et puis toutes les complications et opérations qui l'amenait jusqu'à moi aujourd'hui.

Belle leçon de courage...

vendredi 21 février 2014

Brugada et moi, et moi, et moi...

Hier, petit rapatriement tranquille pour Paris.

Une famille parisienne ayant réservé une semaine complète dans une station de ski (logement, forfait, location de skis) a été obligé de s'arrêter durant leur trajet suite à la survenue d'un malaise de type vagal chez le père âgé de 42 ans.
C'était pas son premier, mais celui-là était plus intense. Sans palpitation, sans douleur thoracique, ni perte de connaissance. Il s'est présenté aux urgences du centre hospitalier le plus proche. Et là, surprise : suspicion de syndrome de Brugada sur son ECG. Ce dernier fut confirmé par un test à l'Ajmaline.

Cette maladie génétique peut entraîner syncope et mort subite. Ceux qui en sont porteurs et qui ont déjà fait une syncope se retrouvent équipés d'un défibrillateur implantable à vie, qui entrainera un choc électrique en cas de troubles du rythme.
Or, ce patient n'a jamais fait de syncope. Si cela se trouve, son "Brugada" n'a jamais fait parler de lui. Et de là, le problème : faut-il équiper le patient d'un défibrillateur juste au cas où le "Brugada" fasse parler de lui ou le laisser tranquille mais avec l'angoisse permanente qu'il peut mourir dès que le "Brugada" se manifestera ? L'équiper résoudrait le problème, mais ce n'est pas rien que de vivre avec un défibrillateur avec le risque qu'il se déclenche de façon inapproprié sans parler des contraintes de surveillance. Et puis, pourquoi en mettre un si ce n'est pas vraiment nécessaire ?

Bref, je l'ai transféré scopé en permanence et accompagné de son épouse. Alors que pendant 42 ans, il avait vécu sans savoir ce qu'il avait, maintenant que le diagnostic avait été fait, personne ne voulait le laisser sans surveillance. A un moment, il a désiré boire un café ce qui a entrainé un commentaire de sa femme : "Ce n'est peut-être pas raisonnable avec ce que tu as ?". Un café, rien qu'un café... Je me suis dit : ce type est fichu, maintenant, dès qu'il aura 5 minutes de retard à un rendez-vous, dès qu'il passera trop de temps aux toilettes, dès qu'il s'énervera, son entourage aura peur qu'il fasse une syncope... Il ne pourra rien faire sans que ses proches ne commentent ses décisions. Finalement, cela est peut-être pire que d'avoir un défibrillateur, quoiqu'il ne sera surement pas tranquille pour autant.

Sacré dilemme...

mercredi 19 février 2014

Personne n'est devin

Beaucoup de patient me demande après les avoir examiné : "C'est grave ?". Cette question me fait sourire : "C'est à dire ? C'est quoi pour vous, grave ?". Sur le coup, ils ne savent pas quoi répondre, n'osent pas dire ce qui les tracassent vraiment : "Est ce que je risque de mourir ?". C'est cette angoisse qui les tenaille et ils ont besoin d'être rassurés. Dans la très grande majorité des cas, il n'y a rien mais alors absolument rien de grave, c'est à dire qu'ils ne sont pas prêt de mourir. En fait, "grave" n'a pas la même signification pour moi, je fais le distinguo entre ce qui est bénin, aiguë, chronique, grave ou potentiellement létal.
Hélas, cette nuit, j'ai du dire à 3 adolescents dont le plus âgé a 18 ans que leur mère avait quelque chose de grave mais quelque chose de vraiment grave. Cette fois-ci, je ne leur ai pas demandé ce qu'ils entendaient par "grave", car je ne voulais pas être obligé de répondre que oui, leur mère risquait bel et bien de mourir.
Au cours de cette nuit difficile, le Samu nous déclenche vers 3h30 à peine rentrés d'intervention pour une dame de 44 ans inconsciente. Arrivés au domicile, on découvre une dame aréactive en anisocorie (1 pupille en myosis et l'autre en mydriase). Comme elle est en PLS, j'en profite pour ausculter ces poumons et constate alors qu'elle est en arrêt respiratoire avec un pouls palpable. On est arrivé juste avant qu'elle ne se mette en ACR. Rapidement, on la place sur le dos, l'infirmière la perfuse, je l'intube et la place sous respirateur. Aucune réaction de sa part... Un tel état ne laisse que peu de doute sur l'origine de son coma : une hémorragie méningée massive avec engagement. Faut aller très vite pour l'amener dans un centre de neuro-chirurgie, même si la partie semble déjà perdue.
Je laisse les pompiers la coquiller et me dirige vers les personnes habitant avec la patiente : 3 adolescents dont le plus agé n'a que 18 ans. Leur mère est divorcée. Elle s'est plainte la veille en début de soirée de maux de tête importants puis vers minuit a présenté une difficulté à parler. Les enfants ont alors cru que leur mère était juste très fatiguée jusqu'à qu'elle ne réagisse plus vers 3h du matin. Je leur explique que je crains une hémorragie intra-cranienne, qu'on fait le maximum pour elle et qu'il nous faut aller très vite. Et là, tombe la question redoutée : "C'est pas grave au moins ?". Ben, si, elle va surement mourir... Je ne leur ai dit pas. Trop tôt, trop jeunes, et ce n'est pas à moi de leur dire. C'était dur de les voir réaliser progressivement ce que je n'osais pas leur dire, je voyais dans leurs yeux la peur de perdre leur maman. Les 2 plus jeunes se sont mis à pleurer, l'aîné assurant son rôle. Je suis descendu m'occuper de leur mère, leur père devant arriver.
Arrivés au déchocage et après quelques examens, le réanimateur n'a fait que confirmer ce que l'on craignait : on ne pourrait pas la sauver. "Au mieux", on pourrait prélever ses organes...
Je ne peux pas m'empêcher de repenser après coup aux enfants. Ils font probablement s'en vouloir toute leur vie de n'avoir pas appeler plus tôt les secours. Trois ou quatre plus tôt, on pouvait la sauver, mais ils sont jeunes. Comment auraient-ils pu savoir que leur mère était dans un état grave et ce qui allait se passer. Ils n'ont pas à se sentir coupable, ils ne savaient pas. Hélas, j'ai peur qu'ils aient le sentiment d'avoir tué leur mère...

jeudi 13 février 2014

Jamais 2 sans 3

La semaine dernière, j'ai pu encore une fois visité et voir le bouddha couché de Bangkok. Trois fois en un an, moi qui ne suis toujours pas monté en haut de la Tour Eiffel... Pourquoi revoir le bouddha couché ? Bah... A chaque fois, je fais équipe avec un ou une infirmière différent et je me sens obligé de faire le guide : bouddha couché, palais royal, maison de Jim Thomson et pourtant il y a beaucoup d'autres sites à visiter, mais bon c'est facile d'accès et incontournable lorsque l'on n'a qu'un ou 2 jours de disponible.

Comme pour ma première visite, nous avons rapatrié une femme victime d'un accident de la route : en moto sans casque, elle a perdu le contrôle de son véhicule en passant dans un trou et a tapé violemment l'arrière de sa tête sur le sol. Et la voilà maintenant, incapable de parler, de répondre aux ordres simples avec juste des mouvements oculaires et de flexion des membres supérieurs. Ce n'est pas bon signe.
Nous avons été accueilli par le correspondant local, français habitant en Thaïlande depuis 40 ans et parlant thaï parfaitement. Il nous a longuement parlé de son travail.
Il avait le sentiment que les français blessés ou malades en Thaïlande s'attendaient à ce que tous les frais soient pris en charge, comme en France. Très souvent, ces derniers lui tendent leur carte vitale et ne comprennent qu'elle ne soit pas reconnu en Thaïlande et qu'ils doivent avancer les frais.
Et là, tout dépend de leurs assurances. Notamment celle de leur carte bleue. Le correspondant local nous précisait que la plupart de nos concitoyens avaient une carte basique, ne prenant en charge que pour 11 000 dollars de frais médicaux. Quand on sait qu'une journée de réanimation peut couter jusqu'à 4 000 euros, il ne faut pas avoir de problème grave pour ne pas avoir à débourser le moindre sou.
Notre patiente avait été blessée mi janvier et cela faisait 3 semaines qu'elle était hospitalisé en réanimation. Sa famille avait fait des demandes de prise en charge à toutes leurs différentes assurances : maison, voiture, mutuelle, carte bleue pour réunir seulement un tiers de la somme nécessaire...
Elle avait été opérée d'une hémorragie intra-cranienne, trachétomisée et respirait à l'aide d'une respirateur. Nous étions partis avec 2 valises remplis de matériel pour pouvoir faire face à toutes les situations. Nous avions pas loin de 13 heures d'avion pour le retour et on ne désirait pas demander au pilote d'atterrir parce qu'ils nous manquaient quoi que ce soit. D'ailleurs, le pilote est venu me voir lors du vol en me précisant qu'il serait difficile de se poser vu qu'on était au dessus de la Sibérie.
Régulièrement, on mobilisait et massait la patiente pour éviter que ne se forment des escarres, on l'aspirait, on surveillait tension artérielle, saturation, niveau restant d'oxygène et réglage du respirateur.
Nous avons fait au total environ 4 heures d'ambulance et 13 d'avion.

C'était la première fois que je faisais un vol aussi long avec un malade aussi "lourd". Heureusement, tout s'est bien passé...

mardi 11 février 2014

Alcool + Moto = Fauteuil

La semaine dernière, lors de mes 24 heures de garde, par 2 fois, une infirmière puis une aide-soignante sont venus me voir pour me dire qu'un patient à demander à me voir en m'appelant par mon prénom. J'ai demandé à en savoir plus : "Un jeune paraplégique que t'as fait en smur". Pas besoin de savoir son nom ni de m'en dire plus, cette intervention-là fait partie de celles que l'on n'oublie pas. Un jeune déjà venu aux urgences pour des accidents de la route en état d'ébriété avait percuté un 4x4 avec sa mobylette en état d'ivresse.
A notre arrivée de nuit sur une route de montagne par 0° degré, le jeune était sur le côté au fond d'un fossé. Les jambes enroulés sur elles-mêmes ne laissaient aucun doute sur la violence du traumatisme. D'autant qu'il ne répondait pas aux ordres simples. Il a fallu qu'on fasse vite pour immobiliser ces fractures par ceinture pelvienne, traction fémorale, collier cervical, pour sédater, intuber, coquiller. Pendant le transfert vers la DZ pour une évacuation en hélico, on avait du mal à stabiliser la tension artérielle malgré le remplissage. Il a fallu faire acheminer du sang vers la DZ pour transfuser le patient.
Le bilan a mis en évidence des fractures fémorales bilatérales, une fracture du bassin, une lésion médullaire et une du plexus brachial (je ne sais plus quel côté) en plus d'un traumatisme crânien. Ainsi, le jeune se retrouvait sur un fauteuil roulant avec un seul bras valide...

Bizarrement, je n'avais pas envie d'aller le voir. Lui voulait absolument me montrer les progrès qu'il avait réalisé. Pourtant, nous ne nous sommes jamais parlé, ni jamais vu après son accident. Je sais que parmi les pompiers présents sur le site, certains le connaissaient. Peut être a t'il appris par leur intermédiaire ce qui s'était passé et à quel point, on s'était "battu" pour lui.

Si j'étais allé le voir, qu'aurais je pu lui dire ? Bravo, c'est super, tu bouges des 2 mains. Génial... Mais tu resteras toujours dans un fauteuil. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser que si il n'avait pas bu, il n'aurait surement pas eu cet accident. Il ne serait pas en fauteuil roulant avec toutes les complications et les risques que cela entraîne. Alors, oui, bravo, t'as joué, tu t'es amusé mais t'as perdu. Quelque part, je lui en voulais presque. Je trouvais trop con, trop bête ce qui lui était arrivé : une vie entière foutue à cause de cela. J'étais content qu'il soit en vie et que nos efforts aient payé, mais tout cela n'aurait pas été nécessaire si il n'avait pris sa moto de nuit en état d'ébriété. Je suis dur : il a réussi surement à passer à autre chose et je devrais m'en féliciter et l'encourager, mais sur le coup, j'ai préféré de ne pas y aller.

Promis, la prochaine fois, j'y vais...