Ça y est, j'ai enfin rencontré mon patient paraplégique. Lundi, en prise au déchocage avec un patient faisant des malaises sur une bradycardie irrégulière, on m'informe qu'un jeune patient paraplégique à demandé de mes nouvelles. Mince, me suis-je dit, le voilà de retour. En plus, il y avait toutes les chances pour que ce soit moi qui m'occupe de lui. Mais bon, fallait bien que ce moment arrive.
Quelques minutes plus tard, je me présente à lui. Évidemment, il ne me reconnaît pas. D'emblée, je le tutoie (finalement, l'avoir intubé, sédaté, réduit ses fractures, perfusé, transfusé et transporté rapproche, non ?). C'était comme si je retrouvais un vieux camarade perdu de vue. Je me sentais proche de lui et même, malgré ce que j'aurais cru, cela me faisait plaisir de le voir. Je me suis présenté et à l'annonce de mon prénom, j'ai senti un soulagement chez lui. Je lui ai demandé comment il s'en sortait : "bien, faut garder le moral". Puis, est ce qu'il se rappelait l'accident. "Wouhai, je me rappelle le 4x4 puis plus rien, je me suis réveillé, j'avais mal à la tête et au dos". Après une petite pause : "je comprenais pas, je sentais pas mes jambes". Et là, j'avais envie de lui parler de ce que j'avais vécu avec lui : "T'a t'on raconté ce qui s'est passé après l'accident ?"
"- Bah, on m'a dit que c'était pas beau et que tu (au début, il me vouvoyait mais je lui ai demandé rapidement de me tutoyer) avais fait tout ce que tu pouvais"
Je me suis rendu compte que je ne lui en voulais pas finalement. À le voir, paralysé à partir du thorax, ne rien sentir en dessous des mamelons, avec un bras gauche bougeant difficilement tout en gardant le moral, je le trouvais vraiment courageux et touchant. Par moment, je m'étais demandé si j'aurais du en faire autant. Je ne pouvais pas savoir ce qu'il deviendrait, mais sauver un patient qui passe tout son temps allongé valait il la peine de se battre ? La réponse est évidente, je sais : nous devons tout faire pour préserver la vie, mais parfois je m'étais demandé si c'était vraiment une "vie" que d'être dans son état. Le voir maintenant en vie malgré son bras gauche, son ventre et ses jambes flasques me confirmait que j'avais bien fait.
Je lui ai raconté ce que j'avais vécu : l'arrivée de nuit et dans le froid, la vision de ses jambes pliées en des angles impossibles, son geignement qui depuis me revient régulièrement aux oreilles, le sentiment et la peur de pouvoir le perdre à tout moment, le poids sur mes épaules de son devenir, les "ordres" que je n'arrêtait pas de dire, crier à mon infirmière, ambulancier, aux pompiers pour que tout aille vite et bien, la pose de la ceinture pelvienne, du collier cervical, la traction sur ses jambes pour les remettre dans l'axe et les tracter, l'intubation, le sentiment et la peur d'une hémorragie interne qui m'ont fait demandé du sang et un helicoptére. Tout cela est sorti tout seul et m'a fait beaucoup de bien. Je pouvais enfin lui dire directement ce que j'avais vécu et ce que j'ai ressenti par "sa" faute...
Il m'a écouté, haussant régulièrement les sourcils et ouvrant la bouche de stupeur au moment des passages les plus difficiles. Je le remercie pour cela. J'avais besoin qu'il sache que je m'étais battu pour qu'il vive et j'avais besoin aussi de me rendre compte qu'il ne m'en voulait pas de l'avoir sauver pour se retrouver dans cet état.
Ensuite, ce fut son tour de me raconter son périple : la réanimation, la compréhension qu'il ne remarcherait plus jamais, les 6 mois de rééducation dans un centre, le retour à la maison et puis toutes les complications et opérations qui l'amenait jusqu'à moi aujourd'hui.
Belle leçon de courage...