jeudi 27 juin 2013

Samedi soir...

Un patient est amené pour ivresse sur la voie publique avec chute et plaie du cuir chevelu.
Les pompiers dépités et désolés de nous amener ce patient qu'on entend à l'autre bout des urgences demander à ce qu'on le ramène chez lui et qu'on lui "foute la paix".
Faut que quelqu'un y aille. Je suis disponible et le plus prêt. C'est parti. De toute façon, c'est samedi soir et on sait bien à quoi s'attendre ces soirs-là...
A un moment, je suis son meilleur ami ("T'es un pote toi, j't'aime bien, t'es sur qu't'es toubib ?), et en 2 minutes, je suis devenu tout l'inverse ("Ooohh, tu fais chier toi !! J'fais c'qu'j'veux !! On m'a jamais commandé, moi, ouais !!"). Je sens son haleine à 2 doigts de mon visage : pas de doute : mélange de diverses alcools dont de la bière et du vin rouge. A voir ces vêtements et sa coiffure : ce doit être un SDF et à mon avis, bien habituer des services d'urgence.
Il n'arrive pas à tenir debout ("j't dis que j'ai pas besoin de toi. J'sais marcher, quoi !!") mais veut nous montrer qu'il peut aller aux toilettes tout seul, ne comprend pas qu'on lui demande de s'allonger pour pouvoir suturer sa plaie ("c'est rien, j'ai eu pire"). Il crache par terre parce qu'il n'a pas vu la poubelle ("j'vais pas avaler quand même. C'est dégueulasse !!"). On s'y met à 3 puis 4 - 5. Chacun de nous essaie à tour de rôle de le convaincre de rester, qu'on doive le soigner, le surveiller. Il crie, nous insulte, nous postillonne, voire nous crache dessus ; son sang se retrouve sur le brancard, par terre, sur nos tenues. On essaie de le maintenir, puis de lui parler calmement, de le materner puis plus durement. Hélas, rien n'y fait. Pourtant, faut bien qu'il reste : si il sort du service, il pourrait tomber, se taper la tête et se faire une hémorragie intra-cranienne ou se faire renverser par une voiture... En plus, si il lui arrivait quoi que ce soit à l'extérieur, on serait responsable.
On essaie de le maintenir dans son box. On n'aime pas être dévisagé pour tous les autres patients. Je me suis toujours demandé ce qu'ils pouvaient bien penser de cela : nous trouvent-ils agressifs, trop insistant alors que le patient est simplement alcoolisé ou au contraire, nous plaignent-ils d'avoir à gérer un patient en état d'ébriété ?
Pendant ce temps-là, le patient commence à en avoir assez qu'on le maintienne et l'empêche de marcher : il crie, nous insulte, s'agite. Je regarde les autres membres de l'équipe. Ils me regardent et tous nous pensons la même chose : on ne va pas avoir le choix que de le plaquer sur son brancard, de lui mettre des entraves et de le sédater. Seulement, dans le couloir, on va passer pour des bourreaux. Faut d'abord le ramener dans son box. Hélas, il finit par être tellement agressif qu'il ne nous laisse plus le choix. Le brancard est prêt avec les contentions, la porte ouverte. Allez, c'est parti, chacun de nous le prend par un membre et rapidement on l'allonge, on lui maintient le thorax et les membres, on lui attache les poignets et les chevilles ainsi que l'abdomen. Il s'agite, s'excite, s'énerve, nous insulte, nous promet de tous nous tuer.
Plus qu'à le laisser se calmer. Il s'endormira tranquillement. Espérons que la nuit se passe bien et qu'il régurgira pas.
Et le lendemain, une fois qu'il aura décuvé, on peut être sur qu'il sera gentil et doux comme un agneau et qu'il s'excusera de ce qu'il aura fait et dit...

Bref, un samedi soir aux urgences...

mercredi 19 juin 2013

Ambulancier ou pilote ?

L'ambulancier est important dans une équipe SMUR : il doit bien connaître son véhicule, le matériel, la radio, la cartographie. Il mène l'équipe sur les lieux de l'intervention le plus rapidement possible en tenant compte de la météo, de la circulation, des travaux. Une fois sur place, il assure la sécurité du médecin et de l'infirmier en ayant un regard plus général des lieux, il est le lien entre le SAMU, les pompiers et les forces de l'ordre. On fait appel à lui pour le matériel, la prise d'examens paramédicaux, la mobilisation du malade, 
Il est un membre indispensable d'une équipe.
Vous avez le "vieux de la vieille" qui sait peut-être pas tout ("j'suis qu'ambulancier"), mais qui a tout vu. Il connaît la carte par cœur, toutes les rues de la ville : pas de GPS avec lui ("met pas c´truc là. Il connaît rien !!"). Il conduit vite mais serein : vous vous demandez juste si il voit encore bien. Bourru, il se fait une idée rapide de l'intervention : vous partez pour une intox med, la patiente est consciente. "Bon, je vous attend en bas". Et vous le retrouvez en train de fumer sa clope à côté de son véhicule. Il écoute Nostalgie : vous partez pour un secondaire de 5 heures, n'essayez pas de changer de station, il a les commandes au volant. Alors vous vous résignez à écouter Nicole Croisille et consorts... Il ne parle pas ou alors pour se plaindre de l'intervention, du SAMU, des médecins. Ainsi, vaut mieux ne rien dire. De toute façon, il vous écoute pas.
À l'inverse, vous avez le jeune loup : tout fou, premier à prendre la fiche, premier dans le véhicule. Vous arrivez dans le garage que le moteur et les girophares sont déjà allumés, GPS activé en attente d'un signal. Il fait crisser les pneus au départ, il va vite, trop vite, freine brusquement, trop brusquement, veut battre un record (mais lequel ? Celui du nombre de véhicules SMUR dans le fossé ?). Il joue de la boîte de vitesse et du volant comme sur sa console de jeux. Vous n'avez pas confiance, mais vous n'osez rien dire de peur d'en rajouter à son stress ou de porter atteinte à son ego et ainsi d'aggraver les choses. Plus qu'à espérer d'arriver sain et sauf : vous avez alors plus peur pour vous que pour le patient. Une fois sur place, il faut qu'il se mêle de tout : il dit aux pompiers comment mobiliser, à l'infirmière où poser sa perfusion, au médecin où transporter. Bon, comme on dit, faut bien que jeunesse se passe (si ça se pouvait se passer dans un autre SMUR, je préfèrerais).
J'ai connu un ambulancier : grand, musclé, tatoué, bardé de cicatrice, amputé de quelques phalanges (jamais eu vraiment envie de savoir pour quoi), grande gueule. Ancien pilote de rallye, il en avait gardé les réflexes et la conduite. Ajouté à cela une propension à vouloir impressionner et "marquer son territoire", vous pouvez imaginer comment était sa conduite. De ma première intervention avec lui, je ne me rappelle que l'aller à bord de "sa" voiture : départ peu avant 18h en pleine heure de pointe avec bouchon. Lui, à fond, 80km/h, 2 tons et appel de phare à tout va, zigzaguant entre les files de voiture sans pour autant ralentir. Soudain : "putain, cette conne va me faire prendre mon élan". Effectivement, une petite voiture devant nous venait de freiner. Il ralentit, débraie, double et accélère à fond. Ma pensée fut "élan pour quoi ?? Il veut s'envoler ?" Sur le coup, cela ne m'aurait même pas surpris. À côté de moi passe un panneau signalant un rond point à 150 mètres. Il continue à accélérer. Je me demande à peine si il a vu le panneau que nous sommes à l'entrée du rond point. Et là FREIN À MAIN - VOLANT BRAQUÉ À DROITE. Putain LE CON !!!! ACCÉLÉRATION - FREIN A MAIN - VOLANT BRAQUÉ À DROITE. On sort du rond point. Putain, c'est pas vrai. Accélération, virage, frein à main, accélération.... Tout cela sur quelques kilomètres. J'ai préféré ne rien dire pour ne pas montrer mon angoisse ni flatter son égo.  Au final, nous sommes arrivés sain et sauf. Je ne sais plus pour quelle pathologie. J'ai compris alors à qui j'avais affaire...

Bref, à bord d'un véhicule SMUR, vaut mieux ne rien dire...

jeudi 13 juin 2013

Accro au café

Bonjour, je suis urgentiste et suis accro au café.
Huit heures du matin : dés mon arrivée aux urgences, je me dirige vers la salle de repos. Avant même de saluer tous mes collègues.
Premier constat : y a t'il du café ? Et si oui, est il frais ?
En fait, de toute façon, même pas frais, même froid, c'est pas grave : je me sers non pas une tasse mais un mug rempli. Puis micro-ondes 30 secondes (attention : café bouillu, café foutu)
Par contre, quand y a pas de café : j'enrage, j'empeste. C'est tout juste si je ne suis pas pris de tremblement et de nausées. Tant pis, je me lance. Faudra juste attendre 30 minutes. Oui c'est long mais la cafetière est entartrée. D'ailleurs, les fabricants d'appareil à café devraient tester leur cafetière dans les services d'urgence. La durée de vie ? Environ un an. J'ai tout vu et tout testé dans les urgences : cafetière filtre, café soluble, percolateur, capsules, dosettes. Il suffit de lever les yeux dans une salle de repos pour apercevoir en haut des placards un véritable cimetière : carton, cafetières, thermos... Pire que sur le bon coin.
Le café lancé, reste plus qu'à ruminer et faire un tour voir enfin les collègues. Et là, on se fait embarquer : discussion, plaisanterie... Allez, je vais examiner 2 - 3 malades le temps que le café finisse de couler.
Dix heures : ouf, j'ai 5 minutes pour aller enfin me chercher un café. Aaaahhhh c'est pas vrai, nnoooonnnn, c'est pas possible. PLUS DE CAFE !!! Je vais en tuer un !!! Hélas, encore une loi à connaître : ne jamais s'éloigner plus de 10 minutes après avoir lancer la cafetière au risque de ne pas en avoir !!!
Je le sais mais me fais avoir tout le temps (doit y avoir un complot derrière tout ça). Pas le choix : refaire du café (les tremblements s'aggravent, les nausées me reprennent, j'ai chaud... Vite, vite... Il me faut ma dose...).
De toute façon, après mon mug de 8h, je me ressers vers 10h un autre mug. J'ai coutume de dire que je bois non pas un café par jour mais une cafetière. J'en ressens le besoin. C'est devenu un tic : je tape une observation, je prends une gorgée, je lis un compte-rendu, une autre gorgée. J'ai toujours un mug rempli de café à proximité. À force, il est froid (j'ai d'ailleurs investi dans une tasse isotherme : outil aussi nécessaire que le stéto ou le stylo), mais pas grave, ça se boit quand même.
Évidemment, après le déjeuner, nouveau mug. Une dose, cette fois ci. Puis à 16h.
Et quand je fais 24 heures, c'est la cata : une dose à 18 heures pour la soirée puis à 22 heures pour la nuit. Et quand nous coupons la nuit avec mon collègue et qu'il part se coucher : nouvelle dose. Quand on me réveille pour un patient : premier acte : un mug de café (j'enfile quand même un pantalon avant...).
Je me suis dit un paquet de fois : faut que j'arrête le café. Mais c'est devenu comme un tic. Je ne me vois pas travailler sans une tasse. D'ailleurs, à la fin de la journée, à force d'être aller en chercher, je me retrouve avec une collection de tasse de toutes les tailles et de toutes les couleurs à côté de mon PC. Alors, régulièrement, j'en ramène 2 - 3 à la tisanerie...
Sans café, je me sens ralenti, lent et fatigué. Avec, pas de problème.
Par contre, y a les effets secondaires : passage régulier aux toilettes (pourquoi ne sert on pas du café aux insuffisants cardiaques ou aux constipés ?), excitation. Mais cela m'aide à bosser plus vite et surtout à tenir mes 24 heures de garde.

Bref, je suis accro au café.

samedi 8 juin 2013

Un bien consommable

Les urgences sont un produit consommable comme un autre...
Une enseignante consulte un samedi pour une douleur au poignet droit depuis un mois et demie :
  -  mais vous n'avez pas consulté votre médecin ? lui demandais-je
  -  je travaille
  -  ... euh... mais vous ne travaillez pas le mercredi, vous finissez au maximum à 17h les jours, et en plus il y avait des vacances scolaires il y a un mois
  Et là, plus de réponse.

Mais que les gens n'hésitent pas à nous dire qu'ils nous prennent pour des cons. Je suis sur qu'on ne s'en offusquera même pas.

Une mère amène sa fille un samedi soir à 22h car elle se gratte les yeux depuis 2 mois (oui, oui... 2 mois, cela est à peine croyable) :
  -  vous n'avez pas consulté un médecin ?
  -  on a été à la pharmacie et ils nous ont donné un collyre mais ça fait rien
  -  vous n'êtes pas allé voir un médecin ? (oui, je suis têtu quand je veux)
  -  mais ce soir, elle arrête pas
  -  elle se maquille ?
  -  oui...
  -  bah... qu'elle arrête...

Un homme vient pour des douleurs à la cheville après un traumatisme qui date d'il y a un mois :
  -  vous n'avez pas vu un médecin ? (c'est devenu un gimmick, chez moi...)
  -  non, je pensais que cela passerait (très classique comme réponse... Pas très original)
  -  et, vous n'avez pas pu voir votre médecin ? (têtu, je vous dis)
  -  en fait, j'attends 2 heures dans son cabinet avant de le voir (pour une fois, que ce n'est pas aux urgences que les gens attendent...)

Un patient se présente pour... un bilan cardio :
  -  pourquoi vous venez aux urgences pour un bilan cardio ?!?? (j'étais surpris, faut dire qu'on ne me l'avait jamais fait celle-là)
  -  oui, j'ai fait un infarctus il y a 6 mois et mon cardio m'a dit que je devais faire un bilan dans 6 mois
  -  et vous avez pris rendez-vous ?
  -  non (tranquille, le gars...)
  -  bah... faut prendre rendez-vous chez un cardio... (sur ce coup-là, j'ai été efficace et suis sur de ne pas avoir fait de conneries)
  -  mais si je prend rendez-vous, je vais devoir attendre plusieurs mois et le cardio m'a dit de faire un bilan dans 6 mois... (peut-être plutôt limité le gars)

Bref, on va aux urgences comme on irait au supermarché...