mercredi 7 janvier 2015

La mort et moi, et moi et moi et moi...

Je pensais connaitre la mort. C'est une façon de parler : pour moi, la mort n'existe pas, c'est une vie qui s'arrête. Mais bon, parler de mort permet de se focaliser sur quelque chose, permet de trouver une sorte de coupable...
Ainsi, je pensais connaitre la mort : pour moi, elle était surtout brutale, sans pitié, perverse, parfois insidieuse. Comme on le dit de temps en temps, j'ai eu parfois le sentiment de me battre contre elle, d'avoir quelque fois gagné, souvent transitoirement. J'ai de nombreuses fois entendu les dernières paroles ou senti le dernier souffle d'un patient. Je déteste ça, cela me fait toujours froid dans le dos : soigner un patient qui finit par décéder devant moi. Paradoxalement, je préfère essayer de réanimer un patient en arrêt cardiaque que de me battre pour sauver quelqu'un qui finit par mourir.
Bref, je pensais connaitre la mort.

En fait, je me trompais...

En HAD, nous prenons en charge des patients en soins palliatifs. Cela fait plusieurs mois voire quelques années qu'ils se battent contre leur maladie, souvent un cancer. Quand on les prend en charge, le constat est terrible : la maladie a gagné. Tous les médecins ont baissé les bras et il nous faut maintenant que le patient puisse mourir "en toute dignité", comme ils disent...
Nous nous en occupons, mettons massage, nursing, morphine, oxynorm, nutrition, hydratation, scopolamine, oxygène pour finalement en arriver à l'hypnovel... Il peut se passer quelques jours voire plusieurs semaines avant que le patient décède. J'ai alors découvert la mort sous une autre forme que celle que je croyais connaitre. Celle-ci est la pire : elle a déjà décidé du sort qu'elle réservait à sa victime mais elle prend son temps, parfois beaucoup de temps, elle enlève toute dignité... Le patient perd ses forces les unes après les autres, maigrit, s'affaiblit, ne peut plus marcher, puis ne peut plus se laver seul, ni manger. Il ne sait plus qui il est, ne reconnait plus ses proches. Ces derniers s'épuisent, se relaient jour et nuit, pour finalement ne souhaiter plus qu'une chose à leur tour : que tout cela finisse. Et je trouve ça triste que même les proches en viennent à souhaiter la mort du patient. Quel sentiment de culpabilité et de honte cela doit être. Et je me dis que le soulagement qu'ils ressentent lors du décès et qu'ils attribuent à la fin des souffrances du malade, correspond en fait plutôt à la fin de leurs tourments et de leur souffrance psychologique... Bien sur, on n'en parle pas...

Bref, cette mort est lente, longue, douloureuse. J'ai parfois le sentiment qu'elle nous pousse à faire son sale travail : on augmente la morphine, l'hypnovel pour que "le patient ne souffre pas" tout en sachant que l'on risque aussi de provoquer un arrêt respiratoire et donc finalement le décès. Alors qu'aux urgences, je me battais contre elle et que toute notre énergie était ce que tout médecin est destiné à faire : sauver toute vie, et bien maintenant j'ai le sentiment de travailler avec elle et pire encore, pour elle. Elle est déjà là quand j'arrive au domicile d'un patient, elle attend tranquillement que l'on s'installe, fait souffrir le malade, lui fait oublier ses souvenirs, ses proches, lui provoque œdème, encombrement respiratoire, douleur qui nous pousse à intervenir de plus en plus jusqu'à la sédation "terminale" et l'issue fatale. Mais elle avait déjà tout planifié, tout prévu. Elle voulait juste que cela dure longtemps...

Maintenant, je connais la mort...

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