Je rentre d'un rapatriement sanitaire de Beyrouth. Beyrouth... On a tous en tête la vision d'une ville détruite avec immeubles éventrés, routes défoncées, voitures calcinées et population démunie et impuissante face au chaos qui l'entoure.
Forcément, j'avais très envie d'y aller et de pouvoir enfin voir cette ville à l'origine de l'expression maintes fois prononcée aux urgences : "C'est Beyrouth..."
Avant de se poser, l'avion longe la corniche. Arrivant de nuit, tout la ville est éclairée. Très éclairée, j'ai pu apercevoir quelques immeubles, qui n'étaient absolument pas détruits. Evidemment, depuis la guerre civile, les libanais ont eu le temps de reconstruire leur cité.
Au sol, après les contrôles d'usage à la douane et la récupération de mon matériel, j'ai trouvé mon chauffeur de taxi qui comme d'habitude après m'avoir dit bonsoir et demandé d'où je venais était arrivé à cours de son anglais.
Dans sa mercedes affichant plus de 320 000 kms et après avoir fait seulement 2 kms, nous avons été obligé de nous arrêter. Des bouchons... pourtant il était plus de 20 heures. Peut-être l'heure de pointe au Liban ? Mais après avoir passé plus de 30 minutes et n'avoir avancé que de 10 mètres, j'ai pu me rendre compte qu'il s'agissait en fait d'un contrôle militaire. Les gens étaient tranquilles, habitués on aurait dit. A l'approche du check point, ils allumaient le plafonnier de leur véhicule et baissaient leur vitre. Les soldats posaient quelques questions, contrôlaient l'intérieur du véhicule avec leur lampe torche puis passaient à la voiture suivante. Dix mètres plus loin, nouveau contrôle : guérite, sacs de sable, chicane, dos d'âne et pieux en métal... Dois-je me sentir plus en sécurité ? Ce sont des soldats, donc ils assurent notre protection, mais si ils sont là, c'est qu'il doit bien exister une menace quelque part... Arrivé dans le quartier où habite mon patient, mon chauffeur me dit avec un geste englobant les immeubles : "Hezbollah"... Je regarde : des boutiques de fruits et légumes, de vêtements, des femmes voilés passent avec leur enfant... Ce n'est pas vraiment l'idée que je me faisais du Hezbollah, cette image encore une fois véhiculée par les médias occidentaux d'hommes cagoulés en arme en guerre contre l'Israël et participant à la guerre en Syrie.
Nous trouvons la mère de mon patient qui m'emmène auprès de lui. Ce dernier a été victime d'un accident de la route au cours duquel il a été éjecté car non attaché à l'arrière du véhicule. Il a de multiples hématomes au visage et a un hématome extra-dural non opéré, une fracture du nez, de l'omoplate droite et des épineuses cervicales. Il est assez douloureux et souffre de vertiges. Mais surtout, il est très remonté contre le système sanitaire libanais. Evidemment, il vit en France... Il me raconte l'absence de bilan complet (juste un scanner cérébral alors qu'on aurait réalisé sans hésiter un body-scan en France), les fractures oubliées initialement, les manipulations sans plan dur, l'absence de traitement antalgique efficace, les nuits et les jours avec des vertiges et des céphalées intenses. Il a de quoi être énervé mais je ne suis pas surpris... Quand on voit l'état des routes, des voitures, des immeubles, comment pourrait-il y avoir un service sanitaire compétent... Il était tellement en colère qu'il avait demandé à être rapatrié le plus rapidement possible alors que même le médecin de l'assistance lui conseillait d'attendre encore une semaine.
Ainsi, dès le lendemain, je repasse le chercher et encore une fois, le chauffeur me dit : "Hezbollah". Faut vraiment que je demande des explications.
A l'aéroport après avoir enregistré leurs 5 valises et une fois posé au salon, je demande au patient et à sa mère à quoi correspond "Hezbollah".
Leur quartier était le lieu de résidence de membres du Hezbollah avec femmes et enfants. En fait, ce ne sont pas des intégristes, ils tolèrent d'autres religions et n'appliquent pas la charia. Ce ne sont pas que des soldats. Ils me parlent de leur ville, du centre-ville rebâti sans respect des anciennes constructions, de la corruption, de la guerre en Syrie aussi. C'est très intéressant et plus complexe que ce que l'on peut croire. Avoir le point de vue de personnes directement impliqués est différent des reportages que j'ai pu entendre à la télé ou des articles que j'ai pu lire.
Par la suite, le voyage s'est bien passé. Le patient une fois calmé par des antalgiques efficaces et posé dans son siège business à bord de l'avion, a pu s'endormir.
Comme souvent, je me dis qu'il faut absolument que je retourne dans ce pays un jour...
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