mercredi 14 janvier 2015

Carpe diem

Aujourd'hui, rapatriement tranquille pour une fille de 13 ans atteinte d'une myopathie. Maigre, petite, elle bouge encore un peu les coudes et les mains et ne respire la nuit que sous ventilation non invasive.

Alors que la prise en charge médicale était facile, c'est la partie technique qui a posé un problème. Il fallait que l'on transporte son fauteuil roulant électrique, lourd mais surtout très encombrant et ne rentrant pas dans l'ambulance. Il nous en fallait un de plus gros volume. Après plusieurs appels à l'assistance et à la compagnie d'ambulance, la solution trouvée fut de transporter le fauteuil dans un second véhicule jusqu'à un aeroport où nous attendrait une ambulance plus volumineuse. Déplacer le fauteuil fut à chaque fois une bonne occasion de se dire "faut que je fasse attention à mon dos"...
Une fois à l'hôpital d'arrivée, la patiente préféra qu'on la place dans son fauteuil et là, elle était aux anges : elle retrouvait son autonomie et filait à une bonne vitesse nous obligeant à marcher d'un bon pas.
A chaque fois que je transporte un enfant atteint d'une pathologie l'ayant obligé à séjourner de nombreuses fois à l'hôpital avec des soins lourds et parfois des interventions opératoires, je suis surpris par leur joie de vivre. Il accepte tout avec beaucoup de recul et de philosophie. Alors que le moindre problème survenant au cours du transfert me tracasse, rien ne semble les perturber. Et en plus, ils sourient et plaisantent. Malgré tout ce qui leur est arrivé, ils restent positifs et ne semblent pas se soucier de l'avenir. Ils pensent à leurs proches et me demandent souvent comment je vais ou si j'ai besoin de quelque chose (c'est le monde à l'envers).
Est ce un mécanisme de défense ? C'est à dire qu'en étant "insouciant", ils ne pensent plus aux soins ni à leur maladie ? Je ne pense pas, car l'angoisse doit bien les rattraper à un moment. Ils ne peuvent pas indéfiniment paraître joyeux ou positifs.
Est ce qu'ils sont ainsi pour rassurer leur entourage ? Leur montrer qu'ils sont face et que leurs proches n'ont pas à s'en faire pour eux ? Souvent, au début, les enfants préfèrent prendre sur eux pour ne pas voir leurs parents affectés par leur maladie parce qu'ils se sentent responsables de leur inquiétude. Mais, cela ne dure qu'un temps. On ne peut refouler indéfiniment l'angoisse ou la souffrance liées à la maladie et aux soins.
Tous les enfants que je transporte sont simples, ne semblant pas affecter par ce qui leur arrive. Ils profitent des petits moments, semblent émerveillés par un rien. Les gens qui les découvrent pour la première fois prennent un air affligé ou compatissant, n'arrêtant pas de demander comme ils vont ou si ils veulent quelque chose, n'osant pas plaisanter comme si le moment était grave, alors que ces petits ne demandent pas à ce que l'on leur rappelle leur maladie, ils désirent juste vivre et profiter. J'ai compris qu'il fallait être ouvert, discuter de tout et de rien comme avec n'importe qui d'autre et surtout profiter de rien et de tout.

mercredi 7 janvier 2015

La mort et moi, et moi et moi et moi...

Je pensais connaitre la mort. C'est une façon de parler : pour moi, la mort n'existe pas, c'est une vie qui s'arrête. Mais bon, parler de mort permet de se focaliser sur quelque chose, permet de trouver une sorte de coupable...
Ainsi, je pensais connaitre la mort : pour moi, elle était surtout brutale, sans pitié, perverse, parfois insidieuse. Comme on le dit de temps en temps, j'ai eu parfois le sentiment de me battre contre elle, d'avoir quelque fois gagné, souvent transitoirement. J'ai de nombreuses fois entendu les dernières paroles ou senti le dernier souffle d'un patient. Je déteste ça, cela me fait toujours froid dans le dos : soigner un patient qui finit par décéder devant moi. Paradoxalement, je préfère essayer de réanimer un patient en arrêt cardiaque que de me battre pour sauver quelqu'un qui finit par mourir.
Bref, je pensais connaitre la mort.

En fait, je me trompais...

En HAD, nous prenons en charge des patients en soins palliatifs. Cela fait plusieurs mois voire quelques années qu'ils se battent contre leur maladie, souvent un cancer. Quand on les prend en charge, le constat est terrible : la maladie a gagné. Tous les médecins ont baissé les bras et il nous faut maintenant que le patient puisse mourir "en toute dignité", comme ils disent...
Nous nous en occupons, mettons massage, nursing, morphine, oxynorm, nutrition, hydratation, scopolamine, oxygène pour finalement en arriver à l'hypnovel... Il peut se passer quelques jours voire plusieurs semaines avant que le patient décède. J'ai alors découvert la mort sous une autre forme que celle que je croyais connaitre. Celle-ci est la pire : elle a déjà décidé du sort qu'elle réservait à sa victime mais elle prend son temps, parfois beaucoup de temps, elle enlève toute dignité... Le patient perd ses forces les unes après les autres, maigrit, s'affaiblit, ne peut plus marcher, puis ne peut plus se laver seul, ni manger. Il ne sait plus qui il est, ne reconnait plus ses proches. Ces derniers s'épuisent, se relaient jour et nuit, pour finalement ne souhaiter plus qu'une chose à leur tour : que tout cela finisse. Et je trouve ça triste que même les proches en viennent à souhaiter la mort du patient. Quel sentiment de culpabilité et de honte cela doit être. Et je me dis que le soulagement qu'ils ressentent lors du décès et qu'ils attribuent à la fin des souffrances du malade, correspond en fait plutôt à la fin de leurs tourments et de leur souffrance psychologique... Bien sur, on n'en parle pas...

Bref, cette mort est lente, longue, douloureuse. J'ai parfois le sentiment qu'elle nous pousse à faire son sale travail : on augmente la morphine, l'hypnovel pour que "le patient ne souffre pas" tout en sachant que l'on risque aussi de provoquer un arrêt respiratoire et donc finalement le décès. Alors qu'aux urgences, je me battais contre elle et que toute notre énergie était ce que tout médecin est destiné à faire : sauver toute vie, et bien maintenant j'ai le sentiment de travailler avec elle et pire encore, pour elle. Elle est déjà là quand j'arrive au domicile d'un patient, elle attend tranquillement que l'on s'installe, fait souffrir le malade, lui fait oublier ses souvenirs, ses proches, lui provoque œdème, encombrement respiratoire, douleur qui nous pousse à intervenir de plus en plus jusqu'à la sédation "terminale" et l'issue fatale. Mais elle avait déjà tout planifié, tout prévu. Elle voulait juste que cela dure longtemps...

Maintenant, je connais la mort...

jeudi 1 janvier 2015

C'est Beyrouth

Je rentre d'un rapatriement sanitaire de Beyrouth. Beyrouth... On a tous en tête la vision d'une ville détruite avec immeubles éventrés, routes défoncées, voitures calcinées et population démunie et impuissante face au chaos qui l'entoure.
Forcément, j'avais très envie d'y aller et de pouvoir enfin voir cette ville à l'origine de l'expression maintes fois prononcée aux urgences : "C'est Beyrouth..."

Avant de se poser, l'avion longe la corniche. Arrivant de nuit, tout la ville est éclairée. Très éclairée, j'ai pu apercevoir quelques immeubles, qui n'étaient absolument pas détruits. Evidemment, depuis la guerre civile, les libanais ont eu le temps de reconstruire leur cité.

Au sol, après les contrôles d'usage à la douane et la récupération de mon matériel, j'ai trouvé mon chauffeur de taxi qui comme d'habitude après m'avoir dit bonsoir et demandé d'où je venais était arrivé à cours de son anglais.


Dans sa mercedes affichant plus de 320 000 kms et après avoir fait seulement 2 kms, nous avons été obligé de nous arrêter. Des bouchons... pourtant il était plus de 20 heures. Peut-être l'heure de pointe au Liban ? Mais après avoir passé plus de 30 minutes et n'avoir avancé que de 10 mètres, j'ai pu me rendre compte qu'il s'agissait en fait d'un contrôle militaire. Les gens étaient tranquilles, habitués on aurait dit. A l'approche du check point, ils allumaient le plafonnier de leur véhicule et baissaient leur vitre. Les soldats posaient quelques questions, contrôlaient l'intérieur du véhicule avec leur lampe torche puis passaient à la voiture suivante. Dix mètres plus loin, nouveau contrôle : guérite, sacs de sable, chicane, dos d'âne et pieux en métal... Dois-je me sentir plus en sécurité ? Ce sont des soldats, donc ils assurent notre protection, mais si ils sont là, c'est qu'il doit bien exister une menace quelque part... Arrivé dans le quartier où habite mon patient, mon chauffeur me dit avec un geste englobant les immeubles : "Hezbollah"... Je regarde : des boutiques de fruits et légumes, de vêtements, des femmes voilés passent avec leur enfant... Ce n'est pas vraiment l'idée que je me faisais du Hezbollah, cette image encore une fois véhiculée par les médias occidentaux d'hommes cagoulés en arme en guerre contre l'Israël et participant à la guerre en Syrie.

Nous trouvons la mère de mon patient qui m'emmène auprès de lui. Ce dernier a été victime d'un accident de la route au cours duquel il a été éjecté car non attaché à l'arrière du véhicule. Il a de multiples hématomes au visage et a un hématome extra-dural non opéré, une fracture du nez, de l'omoplate droite et des épineuses cervicales. Il est assez douloureux et souffre de vertiges. Mais surtout, il est très remonté contre le système sanitaire libanais. Evidemment, il vit en France... Il me raconte l'absence de bilan complet (juste un scanner cérébral alors qu'on aurait réalisé sans hésiter un body-scan en France), les fractures oubliées initialement, les manipulations sans plan dur, l'absence de traitement antalgique efficace, les nuits et les jours avec des vertiges et des céphalées intenses. Il a de quoi être énervé mais je ne suis pas surpris... Quand on voit l'état des routes, des voitures, des immeubles, comment pourrait-il y avoir un service sanitaire compétent... Il était tellement en colère qu'il avait demandé à être rapatrié le plus rapidement possible alors que même le médecin de l'assistance lui conseillait d'attendre encore une semaine.

Ainsi, dès le lendemain, je repasse le chercher et encore une fois, le chauffeur me dit : "Hezbollah". Faut vraiment que je demande des explications.

A l'aéroport après avoir enregistré leurs 5 valises et une fois posé au salon, je demande au patient et à sa mère à quoi correspond "Hezbollah".


Leur quartier était le lieu de résidence de membres du Hezbollah avec femmes et enfants. En fait, ce ne sont pas des intégristes, ils tolèrent d'autres religions et n'appliquent pas la charia. Ce ne sont pas que des soldats. Ils me parlent de leur ville, du centre-ville rebâti sans respect des anciennes constructions, de la corruption, de la guerre en Syrie aussi. C'est très intéressant et plus complexe que ce que l'on peut croire. Avoir le point de vue de personnes directement impliqués est différent des reportages que j'ai pu entendre à la télé ou des articles que j'ai pu lire.

Par la suite, le voyage s'est bien passé. Le patient une fois calmé par des antalgiques efficaces et posé dans son siège business à bord de l'avion, a pu s'endormir.

Comme souvent, je me dis qu'il faut absolument que je retourne dans ce pays un jour...