Alors qu'une fois que j'avais enfin fait ma part de boulot aux urgences (vider toute la filière rapide et la pédiatrie), alors que je n'aspirais qu'à m'étendre vu que 2 heures du matin venait de passer et qu'un rapatriement m'attendait dés mes 24 heures finis, voilà que le bip annonciateur d'une sortie SMUR et surtout d'une possible nuit blanche, retentit. Autant l'entendre en journée me satisfait. C'est le bruit d'une sortie, de la possibilité de faire quelque chose d'intéressant, de prendre l'air... Autant l'entendre la nuit me déplaît. Cela signifie potentiellement alcoolisme, agression. Tout est plus difficile la nuit : joindre un spé, trouver une place, appeler la famille... D'autant qu'une fois ramené à l'hôpital, il faut continuer à gérer le patient ce qui peut prendre plusieurs heures. Donc autant dire qu'une seule sortie en nuit peut suffire pour passer une nuit blanche. Le lendemain s'annonce alors bien plus difficile.
Nous voilà partis dans le véhicule en plein milieu de la nuit. La lune est à son premier croissant. Pas d'étoile... Je prends la fiche et lis : "fin de vie"... Cela me fait toujours un drôle de sentiment : "fin de vie" et SMUR sont 2 mots qui ne vont pas ensemble. Dans l'acronyme SMUR, il y a le "R" qui signifie "réanimation". Et ce qui est sur est que je ne vais pas réanimer une "fin de vie". Donc, soit le SAMU nous envoie pour un problème aigu à régler chez une personne mourante soit il va falloir gérer cette "fin de vie" (je vous laisse deviner ce que cela sous-entend). Dans tous les cas, le plus difficile n'est jamais le patient, mais la famille. A t'elle été mise au courant de la décision de soins palliatifs mis en place, est-elle prête à affronter cette fin de vie et donc la mort chez eux ? Il nous faudra répondre à leurs multiples questions, leur angoisse, leur peur, les rassurer, leur expliquer notre rôle, la limitation des soins que l'on pourra pratiquer. Heureusement, cette nuit, nous constituons une bonne équipe avec la meilleure infirmière que j'ai jamais vu dans un service d'urgence. Je sais qu'elle saura écouter, m'appuyer sans me contredire, intervenir quand cela sera nécessaire sans faire doublon. Je pourra compter sur son expérience et sa connaissance des réseaux locaux.
En gros, cela devrait bien de passer, car même si techniquement ce n'est pas compliqué de gérer une telle situation, c'est le stress de la famille qu'il est difficile à gérer.
Une fois sur les lieux : je regarde comme d'habitude le quartier, le terrain, la maison. Le nom et le prénom du patient sonne hollandais. La maison est contemporaine et grande. Donc, quelqu'un de fortuné, donc potentiellement un certain niveau d'éducation donc famille potentiellement cortiquée donc explications mieux comprises. Un pompier nous attend. Je me présente. "Le chef d'agrés va tout vous expliquer". Bon, à priori, les pompiers sont désarmés. Pas étonnant, comme nous, ils sont formés à réanimer alors une "fin de vie", ils ne peuvent pas comprendre et encore moins agir. L'intérieur de la maison est simple et le mobilier contemporain. Ce n'est pas du premier prix, ça se voit tout de suite. Une dame typée s'avance vers moi. Je me présente. Elle m'amène auprès d'un homme allongée dans un lit médicalisé installé dans le salon. Une femme plus âgée ressemblant à la première est là : sûrement sa mère ainsi que 2 adolescents à la peau claire qui ne parlent qu'anglais : sûrement les enfants du patient venus voir leur père agonisant.
Je commence par écouter longuement la femme. Elle m'explique tout : le mélanome, la découverte des métastases hépatiques puis pulmonaires et cérébrales, les interventions, la chimiothérapie et la radiothérapie, puis la dernière hospitalisation à Genève et la décision de ne plus rien faire. Mais bon, voilà, il vous faut bien continuer à s'occuper du patient... Ils ont décidé d'un retour à domicile mais n'ont pas trouvé de médecin généraliste voulant s'en occuper. Rien d'étonnant à cela, ils ne sont pas formés à cela, eux non plus. Et voilà la famille devant faire face à la dégradation de l'état général du patient : perte de l'alimentation, trouble de conscience puis coma et ce soir, convulsions. "Va t'il mourir ?". Que répondre à cela ?
Après avoir écouter la famille, je m'occupe du patient : il geint, il doit souffrir... Pas de morphine dans son traitement. Il est déshydraté, pas de perfusion sous cutanée. Son tee-shirt est trempé, il respire mal et ça crépite à droite : il a du inhalé quand la famille a tenté de le nourrir et le voilà avec une pneumonie. Il est par ailleurs inconscient et paralysé à gauche. La palpation de l'abdomen le fait grimacer.
Le pauvre, c'est pas une vie et encore moins une fin de vie.
Mon constat est terrible et il y a tellement à faire.
Avec l'infirmière, on leur explique qu'on est là pour les aider et qu'on va faire ce que l'on peut. On leur explique qu'ils doivent prendre contact avec l'HAD, on administre de la morphine et prescrit un patch anti-douleur, on téléphone à la pharmacie de garde pour lui expliquer ce dont la famille a besoin. On leur donne toutes les coordonnées.
On a pris notre temps pour bien expliquer les choses et s'assurer qu'elles étaient bien comprises. Avant de partir, la jeune fille m'a parlé en anglais. C'est vrai qu'elle n'a sûrement rien compris à ce qui s'est passé. Je m'assois à côté d'elle et lui explique dans mon anglais approximatif ce que je pense de son père.
Puis nous sommes rentrés. Peu de temps après, nous sommes allés chercher un homme de 88 ans ayant fait un arrêt cardiaque récupéré...
C'est parfois bizarres les missions SMUR : entre l'un jeune, mourant à qui l'on ne fait rien et le vieux, mort qu'on s'obstine à réanimer...
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