mardi 20 mai 2014

Savoir tout sur tout

Aujourd'hui : formation en urologie dédiée aux urgentistes et réalisée par les chirurgiens urologiques. Ces derniers, d'astreinte la nuit en ont assez d'être réveillés pour des problèmes qui leur semblent banaux et qui ne nécessitent pas de les appeler. Aussi, ils nous ont formé à gérer les principales pathologies et problèmes que nous sommes amenés à rencontrer dans notre pratique. Ce fut très intéressant et le chirurgien qui faisait la présentation prenait le tout avec humour et légéreté. Il nous répétait sans cesse : "C'est facile et il ne faut pas avoir peur".
J'adore apprendre et en savoir plus. Mais voilà, les urologues nous forment en urologie, les ophtalmologues nous demandent de prendre en charge les urgences ophtalmo (sans qu'on sache utiliser et encore moins appris à utiliser une lampe à fente), les ORL ne veulent pas se déplacer même lorsque l'on fait face à une épistaxis sous AVK ou anti-agrégants ne s'arrêtant pas malgré plusieurs méchages, les gynécologues nous demandent d'examiner et de faire un toucher vaginal alors qu'ils vont le refaire après, les chirurgiens viscéraux ne comprennent pas qu'on n'incise pas les abcès même profonds, les chirurgiens orthopédistes nous demandent de réduire les fractures aux urgences,...

Bref, ce que je veux dire est que les spécialistes nous demandent tous de savoir gérer les pathologies relevant de leur spécialité que l'on peut rencontrer aux urgences. D'ailleurs, la mode chez les urgentistes, en ce moment, est de se former à l'échographie justement pour pallier au manque du radiologue la nuit (mais aussi, pour mieux apprécier un polytraumatisé sévère heureusement).

On pallie au manque de spécialiste et à leur manque de disponibilité. Les pathologies que l'on traite leur semble facile à gérer. Normal, ce sont eux, les spécialistes. Mais, nous, nous n'avons pas leur formation, leur pratique ou leur expérience. Nous ne pouvons pas savoir tout sur tout. Et chaque spécialiste nous traite comme des incapables, ne pouvant rien faire sans eux... C'est frustrant et déstabilisant. Lorsqu'une urgence vitale arrive dans leur secteur, ils font appel à nous. Il m'est arrivé d'intervenir pour un arrêt cardiaque survenu devant le chirurgien viscéral sans que ce dernier n'ait fait le moindre geste de réanimation. Je ne lui ai pas fait la remarque qu'il aurait quand même pu masser. Je ne lui demande même pas d'intuber, alors que lui-même nous demande d'inciser les abcès profonds...

Plus le temps passe et plus il faut qu'on sache gérer la base de tous les spé en plus de notre spécialité.

Serons-nous couvert si une erreur médicale survient ? Que pourra-t-on répondre quand le juge nous demandera : "Pourquoi n'avez vous pas appelé le spécialiste ?", "Etiez vous formé à faire cela ?"

Pourquoi le faisons-nous alors si c'est dangereux ? Parce que quand vous avez le patient en face de vous, vous désirez lui apporter une solution rapide...

Cela et la réunion de service du matin pendant laquelle nous avons appris qu'il nous manquait plusieurs médecins, qu'il n'y avait pas de recrutement dans l'immédiat et que les médecins smuristes allaient devoir s'occuper du tri à l'accueil et du déchocage en plus de la filière longue... Bref, tout cela me fait prendre conscience (encore une fois) qu'il vaut peut-être mieux quitter le bateau avant qu'il ne sombre définitivement.

Le plus dur est le premier pas...

lundi 19 mai 2014

To be continued

Jeudi, 24 heures aux urgences... Tranquille, pas trop de monde et pas d'urgence. La plupart des problèmes que je traite sont chroniques :

  • un traumatisme du pouce depuis un mois et demi avec des douleurs de plus en plus importantes que le médecin traitant ne sait plus comment traiter. Un interrogatoire poussé et un examen du doigt en question met en évidence un abcès collecté sous-ungéal pas visible au premier regard. Excision, évacuation, méchage...
  • des adénopathies cervicales depuis 5 mois qu'à priori, le médecin traitant banalise (selon la patiente). Que lui proposer alors qu'elle vient à 22h ? Déjà, je passe beaucoup de temps à lui expliquer "que je suis urgentiste, et que je traite (du moins j'essaye) des urgences", ensuite, un bilan qu'elle fera en externe.
Bref, on a le sentiment que si on enlevait toutes ces "urgences relatives", on ne ferait plus grand chose.

J'en ai profité pour prendre contact avec le médecin responsable de l'hospitalisation à domicile (HAD), qui m'a expliqué son travail. Permettre à un certain type de patients de bénéficier de soins et de traitements qui sont administrés habituellement en milieu hospitalier, à leur domicile. Aussi, elle prend en charge des chimiothérapies ainsi que des soins palliatifs. Elle organise le retour à domicile, prévoit tout ce qui est nécessaire pour que cela se passe au mieux : lit médicalisé, nursing, kiné, aspiration, extracteur d'oxygène. Elle m'a parlé du lien avec le patient et la famille, du suivi réalisé par les infirmières de l'HAD. C'était une des raisons pour lesquelles j'ai préféré les urgences : pas de suivi du patient, pas de prise de tête avec les familles, pas de maison de rééducation ou de retraite à trouver. Et voilà, que finalement, c'est peut-être ce que je vais retrouver. C'est surtout un moyen de quitter les urgences, de ne dépendre que de moi, d'être mon propre chef, quoi. De pouvoir organiser mon temps comme je l'entends, de ne plus faire le boulot des autres. Il y a beaucoup à faire dans mon service d'urgences, mais je me sens découragé et fatigué. Il est temps de changer, de profiter de l'occasion qui se présente à moi. Et si cela ne me plait pas, je pourrai toujours retourner aux urgences.
J'aime mon travail des urgences, mais tous les à-côtés me prennent de plus en plus la tête et changer de registre me permettra de respirer. J'ai bien envie de suivre une formation en soins palliatifs l'année prochaine également.

To be continued...

samedi 10 mai 2014

Toute vie a une fin - suite et fin... -

Parfois, on a comme l'impression que le hasard fait bien les choses. Etant encore de smur avec la même infirmière que la dernière fois, nous revoilà déclenchés à nouveau pour une "fin de vie". Même motif de départ, même adresse et donc... même patient. Connaissant déjà la situation, on préfére cette fois téléphoner au samu afin d'en savoir plus. Ce dernier a été contacté par une infirmière responsable des soins palliatifs du patient et qui demande qu'une équipe intervienne pour "soulager le patient". Me rappelant bien le patient inconscient, déshydraté, fiévreux, je demande cash au médecin régulateur : "Tu me demandes de l'achever ?". Question provocatrice et inutile, mais je ne voyais pas pourquoi on y allait sinon.
Bref, nous revoilà parti. La Lune est à son premier quartier. Toujours pas d'étoiles...
Arrivés au domicile, la famille nous reconnait et semble plus apaisée que la dernière fois, rassurée également d'avoir affaire aux mêmes personnes. Tout comme le patient dont le visage est calme. Toujours inconscient, toujours pas alimenté, mais cette fois-ci, une équipe de soins palliatifs est passée et a mis en place morphine, scopolamine, nursing, extracteur d'oxygène. J'examine à nouveau le patient et pas besoin d'être bien sorcier pour se rendre compte qu'il fait des pauses respiratoires et que la fin est manifestement très proche.
La femme nous demande si il souffre et si il ne faudrait pas lui administrer quelque chose. Son époux ne semble pas souffrir et a déjà des effets secondaires dus à la morphine. Lui injecter quoi que ce soit risquerait de "l'achever". On sent bien que ce serait plutôt l'épouse qui serait soulagée.
On prend le temps de discuter et voir le patient dans son état nous fait de la peine. Aussi, nous décidons de lui administrer en sous-cutanée un peu de morphine. Au bout de plusieurs minutes, tout est fini et je n'ai plus qu'à remplir le certificat de décès.
Après les quelques mots de convenance, nous décidons de rentrer, la famille nous remerciant infiniment.

Que penser de tout cela... Je regrette que ce patient et sa famille n'aient pas été pris en charge dans de meilleures conditions, cela est aussi le cas pour beaucoup de personne en fin de vie. Dans ce cas, la famille a été très présente et désirait que tout se passe à leur domicile, ce qui ne fut pas le cas d'une autre patiente en phase terminale d'un cancer, amenée par une ambulance dans la même journée sur la demande de sa famille qui ne désirait pas qu'elle décède chez elle, dans son lit. Ce qui se passa au déchocage sur un brancard entouré de personnes qui ne la connaissaient pas depuis plus de 30 minutes.

Il parait que l'HAD de mon hôpital recherche un médecin et aimerait développer les soins palliatifs. Une piste à creuser peut-être...

mercredi 7 mai 2014

Toute vie a une fin, mais tout dépend de la fin...

Alors qu'une fois que j'avais enfin fait ma part de boulot aux urgences (vider toute la filière rapide et la pédiatrie), alors que je n'aspirais qu'à m'étendre vu que 2 heures du matin venait de passer et qu'un rapatriement m'attendait dés mes 24 heures finis, voilà que le bip annonciateur d'une sortie SMUR et surtout d'une possible nuit blanche, retentit. Autant l'entendre en journée me satisfait. C'est le bruit d'une sortie, de la possibilité de faire quelque chose d'intéressant, de prendre l'air... Autant l'entendre la nuit me déplaît. Cela signifie potentiellement alcoolisme, agression. Tout est plus difficile la nuit : joindre un spé, trouver une place, appeler la famille... D'autant qu'une fois ramené à l'hôpital, il faut continuer à gérer le patient ce qui peut prendre plusieurs heures. Donc autant dire qu'une seule sortie en nuit peut suffire pour passer une nuit blanche. Le lendemain s'annonce alors bien plus difficile.
Nous voilà partis dans le véhicule en plein milieu de la nuit. La lune est à son premier croissant. Pas d'étoile... Je prends la fiche et lis : "fin de vie"... Cela me fait toujours un drôle de sentiment : "fin de vie" et SMUR sont 2 mots qui ne vont pas ensemble. Dans l'acronyme SMUR, il y a le "R" qui signifie "réanimation". Et ce qui est sur est que je ne vais pas réanimer une "fin de vie". Donc, soit le SAMU nous envoie pour un problème aigu à régler chez une personne mourante soit il va falloir gérer cette "fin de vie" (je vous laisse deviner ce que cela sous-entend). Dans tous les cas, le plus difficile n'est jamais le patient, mais la famille. A t'elle été mise au courant de la décision de soins palliatifs mis en place, est-elle prête à affronter cette fin de vie et donc la mort chez eux ? Il nous faudra répondre à leurs multiples questions, leur angoisse, leur peur, les rassurer, leur expliquer notre rôle, la limitation des soins que l'on pourra pratiquer. Heureusement, cette nuit, nous constituons une bonne équipe avec la meilleure infirmière que j'ai jamais vu dans un service d'urgence. Je sais qu'elle saura écouter, m'appuyer sans me contredire, intervenir quand cela sera nécessaire sans faire doublon. Je pourra compter sur son expérience et sa connaissance des réseaux locaux.
En gros, cela devrait bien de passer, car même si techniquement ce n'est pas compliqué de gérer une telle situation, c'est le stress de la famille qu'il est difficile à gérer.
Une fois sur les lieux : je regarde comme d'habitude le quartier, le terrain, la maison. Le nom et le prénom du patient sonne hollandais. La maison est contemporaine et grande. Donc, quelqu'un de fortuné, donc potentiellement un certain niveau d'éducation donc famille potentiellement cortiquée donc explications mieux comprises. Un pompier nous attend. Je me présente. "Le chef d'agrés va tout vous expliquer". Bon, à priori, les pompiers sont désarmés. Pas étonnant, comme nous, ils sont formés à réanimer alors une "fin de vie", ils ne peuvent pas comprendre et encore moins agir. L'intérieur de la maison est simple et le mobilier contemporain. Ce n'est pas du premier prix, ça se voit tout de suite. Une dame typée s'avance vers moi. Je me présente. Elle m'amène auprès d'un homme allongée dans un lit médicalisé installé dans le salon. Une femme plus âgée ressemblant à la première est là : sûrement sa mère ainsi que 2 adolescents à la peau claire qui ne parlent qu'anglais : sûrement les enfants du patient venus voir leur père agonisant.
Je commence par écouter longuement la femme. Elle m'explique tout : le mélanome, la découverte des métastases hépatiques puis pulmonaires et cérébrales, les interventions, la chimiothérapie et la radiothérapie, puis la dernière hospitalisation à Genève et la décision de ne plus rien faire. Mais bon, voilà, il vous faut bien continuer à s'occuper du patient... Ils ont décidé d'un retour à domicile mais n'ont pas trouvé de médecin généraliste voulant s'en occuper. Rien d'étonnant à cela, ils ne sont pas formés à cela, eux non plus. Et voilà la famille devant faire face à la dégradation de l'état général du patient : perte de l'alimentation, trouble de conscience puis coma et ce soir, convulsions. "Va t'il mourir ?". Que répondre à cela ?
Après avoir écouter la famille, je m'occupe du patient : il geint, il doit souffrir... Pas de morphine dans son traitement. Il est déshydraté, pas de perfusion sous cutanée. Son tee-shirt est trempé, il respire mal et ça crépite à droite : il a du inhalé quand la famille a tenté de le nourrir et le voilà avec une pneumonie. Il est par ailleurs inconscient et paralysé à gauche. La palpation de l'abdomen le fait grimacer.
Le pauvre, c'est pas une vie et encore moins une fin de vie.
Mon constat est terrible et il y a tellement à faire.
Avec l'infirmière, on leur explique qu'on est là pour les aider et qu'on va faire ce que l'on peut. On leur explique qu'ils doivent prendre contact avec l'HAD, on administre de la morphine et prescrit un patch anti-douleur, on téléphone à la pharmacie de garde pour lui expliquer ce dont la famille a besoin. On leur donne toutes les coordonnées.
On a pris notre temps pour bien expliquer les choses et s'assurer qu'elles étaient bien comprises. Avant de partir, la jeune fille m'a parlé en anglais. C'est vrai qu'elle n'a sûrement rien compris à ce qui s'est passé. Je m'assois à côté d'elle et lui explique dans mon anglais approximatif ce que je pense de son père.
Puis nous sommes rentrés. Peu de temps après, nous sommes allés chercher un homme de 88 ans ayant fait un arrêt cardiaque récupéré...
C'est parfois bizarres les missions SMUR : entre l'un jeune, mourant à qui l'on ne fait rien et le vieux, mort qu'on s'obstine à réanimer...