jeudi 26 février 2015

Schizo et alors ?

En ce moment, nous rencontrons plusieurs cas d'éthique en HAD. Chose que je n'avais pas en médecine d'urgence, car malgré les décisions rapides à prendre, dès lors qu'un problème de conscience se posait, on temporisait pour que les médecins responsables du patient prennent eux-mêmes la décision.
Mais, maintenant, même si je suis médecin coordinateur, je suis le premier interlocuteur du patient et de sa famille. Aussi, nous sommes les premiers à nous poser les questions et prendre position, avoir une ligne directive claire est difficile et cela rend la prise en charge délicate autant pour le contact avec les patients et leur famille que pour le travail des infirmières et des aides-soignantes.

Telle cette patiente, 40 ans et schizophrène. Les aides-soignantes et les infirmières passent 2 fois par jour chez elle : cette dernière vit chez ses parents dans une ferme. La maison est surchargé de meubles de toutes sortes, de bibelots. Sa chambre est ainsi faite : remplie de fauteuils,  d'armoires avec des portraits du Christ et des croix un peu partout. Les parents sont impuissants et ne savent plus quoi faire, car leur fille après avoir fait une tentative de suicide au desktop et malgré une intervention chirurgicale visant à remplacer l'oesophage et l'estomac détruit, ne doit rien avaler par la bouche. En plus, elle refuse toute prise en charge. Elle nous dit un jour qu'elle veut mourir et le lendemain "aidez-moi" mais on ne sait pas ce qu'elle comprend car sa schizophrénie est de type paranoïde. Aussi elle croit qu'on veut l'attacher alors qu'on désire juste lui poser une perfusion pour l'hydrater ou qu'elle a le sida parce qu'on lui fait des examens. En tant que soignant, ils nous aient difficile de la laisser dans son état sans rien faire et on ne désire que l'aider alors que tout ce qu'elle nous renvoie n'est que suspicion. Elle est cachectique, la peau sur les os avec un regard intense, fixateur. Les infirmières nous disent que cela leur est douloureux de soigner quelqu'un qui ne le souhaite pas et qui n'apprecie pas leur travail, le temps qu'elles lui consacrent. En tant que médecin, on ne peut pas laisser mourir quelqu'un. Sa pathologie n'est pas fatale. Il s'agit juste de son délire et de son retentissement. Donc, comment faire pour l'alimenter et lui administrer un traitement pour sa schizophrénie ? On ne peut pas mettre de sonde naso-gastrique suite à son intoxication ; la patiente arrache les perfusions. Reste la pose d'une jéjunostomie. Elle en a déjà eu une et l'a même gardé plusieurs mois mais selon son dossier elle l'a arraché ce que contredisent ses parents. J'ai passé une matinée à lire les différents compte-rendus médicaux et opératoires et me suis rendu compte que depuis quelques années, tous les médecins ont baissé les bras d'impuissance et la famille s'est retrouvée seule avec leur fille. Chaque passage aux urgences se terminait par un transfert en hôpital psychiatrique où l'équipe n'est pas formée à traiter le côté somatique. N'ayant aucun passif avec la patiente, notre équipe a décidé de la prendre en charge après une énième pneumonie d'inhalation puis après consultation avec les parents d'organiser une réunion avec un psychiatre, gastro-entérologue, chirurgien digestive ainsi qu'avec un médecin responsable du comité d'éthique sans oublier infirmières, aides-soignantes et psychologues. Cette réunion a conclu qu'il y aurait des bénéfices à poser une jéjunostomie ce qui permettrait aussi de traiter efficacement sa schizophrénie.

On nous avait demandé d'intervenir au début pour des soins palliatifs, car comme la patiente refusait toute prise en charge et que les différents spécialistes ne savaient plus quoi faire pour elle, il fallait alors accompagner la fin de sa vie. C'est en prenant connaissance de la totalité du dossier, de la patiente et de son entourage que nous nous sommes dits que quelque chose pouvait peut-être être essayé. C'est là tout l'intérêt de notre travail.

C'est ce type de prise en charge que j'apprécie dorénavant : finies pour moi les voitures sur le toit à ramper pour accéder à la victime, finis les ongles incarnés à 4 heures du matin ou les douleurs évoluant depuis plusieurs mois sans consultation chez le moindre médecin. Prendre en charge une patiente, faire ce qu'il faut pour elle et sa famille, organiser au mieux sa prise en charge, voilà maintenant ce qui m'intéresse. Je pense avoir presque tourner la page des urgences. Toute chose a une fin...  

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