samedi 26 avril 2014

Urgentistes anonymes

J'ai récemment discuté par mail avec une ancienne collègue infirmière (qu'on appellera Louise) avec qui j'ai travaillé dans un autre hôpital. J'appréciais beaucoup de travailler avec eux : elle était toujours de bonne humeur, enjouée, compétente et drôle. Elle voyait le bon côté des choses et notamment des urgences. J'avais l'impression (à l'époque) qu'elle avait réussi à passer par dessus le sentiment d'inutilité que je ressentais. Un peu comme si elle avait passé un cap que je n'avais pas encore franchi : avoir suffisamment de recul envers les soins et les patients pour que rien ne nous atteigne. Mais hélas, je me suis trompé
Son message m'a fait froid dans le dos : après 15 années passées dans un service d'urgence, elle se disait "cassée, vidée, fatiguée, pauvre, endettée et la vue d'une mamie au fond de son lit, attendant le baiser de Saint Pierre l'émeut à peine". Elle se posait les mêmes questions que moi :
  - pourquoi cet épuisement ?
  - pourquoi ce sentiment de ne servir à rien ?
  - et puis, pourquoi alors que l'on a commencé ce travail pour être en équipe et pour les autres, n'éprouve t'on plus d'empathie ou de considération pour les patients ?

Cela engendre un sentiment d'auto-dépréciation : on ne se reconnaît plus. On pensait aimer les autres et vouloir tout faire pour les aider et voilà qu'une fin de vie nous fait plus penser à "nursing - lit à trouver" que "compassion et empathie". On a le sentiment de ne plus rien éprouver, limite d'être des monstres, incapables de ressentir le moindre sentiment pour autrui.
Ce travail, nous voulions le faire pour les rencontres qu'on pouvait y faire, les discussions qu'on pouvait avoir, le soulagement et les soins qu'on pouvait mettre en place. Nous voulions agir pour les autres et de façon efficace : ce qui correspond bien aux urgences. Mais nous ne nous attendions pas à la charge toujours plus importante de travail que ni la direction, ni les patients ne réalisent. Notre manque de considération pour les autres vient en retour du leur. On est juste humain, pas des machines : si on ne nous témoigne que des sentiments négatifs, il me semble normal qu'on ressente la même chose au final (je n'ose pas imaginer ce qui doit en être pour les policiers et gendarmes). Le moindre remerciement nous apparaît comme incongru mais tellement précieux.

Pour en revenir à Louise, cela faisait 2 mois qu'elle était en arrêt et au bout de 8 heures de travail, elle ne se sentait plus capable de continuer et son médecin l'a de nouveau mise en arrêt de travail.

Comme pour moi, elle ne sait pas quoi faire : elle aime son travail, mais n'arrive plus à travailler. Elle ne désire pas le quitter pour autant car ne voit pas ce qu'elle pourrait faire d'autre...

Louise n'est pas la seule à m'exprimer cette frustration et cette lassitude. On va finir pour créer un groupe de psychothérapie genre les "urgentistes anonymes" qui ont arrêté les urgences et essayent de  ne pas replonger...

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