lundi 31 mars 2014

Pas facile la vie à 16 ans...

Vendredi : depart pour Canterbury pour ramener une patiente de 16 ans ayant fait lors d'un stage en hotellerie un malaise atypique. Je me suis dit : 16 ans, cela va me changer du patient de 80 ans aphasique suite à un AVC ou de la petite dame de 90 ans démente. Au moins, je vais pouvoir discuter.
Aussi, malgré un lever tôt (départ à 4h30) pour attraper un avion devant décoller à 6h30 et finalement annulé à cause du brouillard sur l'aéroport de London City (comme quoi, c'est pas qu'un mythe), malgré une alerte à London Heathrow (alerte à quoi d'ailleurs ?) qui me fit perdre pas loin d'1h30, je pus prendre en charge la jeune fille.
Ce qui l'embêtait surtout dans cette histoire était que le malaise par chute avait entrainé une fracture minime d'une dent.
Après l'avoir examinée, nous partîmes pour l'aéroport. une fois sur place, et comme elle n'avait pas pris l'avion depuis plusieurs années, je la briefe sur les consignes de sécurité et lui précise bien qu'on ne peut pas prendre de liquides. Pas de problème, elle n'a à priori qu'une trousse de maquillage dans son sac à main (qui ressemble plus à une énorme besace) d'où elle enlève 2 - 3 tubes de crème.
Une fois au niveau des postes de sécurité, je lui signale qu'elle doit sortir de son sac tout appareil électrique. "J'ai une cigarette électronique. Je dois l'enlever aussi ?". Mince, elle a déjà une cigarette électronique à 16 ans ??. "Mais tu fumes depuis combien de temps ?". "A peu près 2 ans, mais je voudrais arrêter..." Déjà ? Fallait pas commencer alors... Le contrôle ne fut pas simple. Les agents de sécurité voulurent contrôler son sac à main. Et là, je découvre que sa trousse de maquillage était plutôt un énorme sac contenant plein de fioles, crèmes, tubes et autres contenant diverses poudres, liquides, gels, crèmes. Tout cela à 16 ans ?? J'hallucinais. L'agent de sécurité aussi qui a été obligé de contrôler l'ensemble. Finalement, la seule chose qu'elle ne put pas prendre fut le pot de confiture qu'elle avait acheter pour ces parents. Je trouvais qu'elle s'en sortait pas si mal. Elle était très déçue...
En attendant l'avion, nous sommes allés au salon où on pouvait disposer de wi-fi. Et là, nouvelle déception : "J'arrive pas à me connecter. Je voulais aller sur Facebook...". Dommage, mince alors.
Du coup, nous avons discuté : elle était pleine de convictions et de certitudes à mon avis propres à une ado de 16 ans. Ce qu'elle voulait faire de sa vie ? Voyager. Génial, on va pouvoir parler d'un sujet commun. "Tu veux aller où". "En Australie". Du coup, on a parlé de ce pays. "Et sinon tu veux aller où ?". "Baahhh, en Australie". "Et pourquoi pas en Chine ?". "Pourquoi faire ?". Bon, soit, d'accord, pas de problème...

Bref, une ado de 16 ans... Je vais presque regretter mon patient aphasique (mais pas ma petite dame démente, ça non).

Finalement, nous n'avons pas tant discuté que ça. Tant pis...

jeudi 27 mars 2014

Abuser...

Pour le Samu, il existe des mots clés qui leur font déclencher un Smur malgré un interrogatoire rassurant et la conviction de l'équipe du Samu que ce départ médicalisé n'est pas justifiée.
Ainsi, il m'est arrivé de devoir partir à 3h du matin pour un "accouchement inopiné" : femme enceinte arrivant au terme de sa première grossesse qui après 4 heures de travail, et ayant des contractions toutes les 3 minutes et d'une durée de 30 secondes chacune. Bilan bien rassurant, mais lors de son appel au Samu, elle a mentionné avoir "envie de pousser". Et ce dernier "symptôme" a suffi à déclencher une équipe pompier et une équipe Smur. Et vu le secteur d'intervention, on savait dès le départ que notre sortie était inutile. Et effectivement, arrivés sur place, nous avons pu constaté que la femme enceinte nous attendait tranquillement avec ces valises pour être transporté. Elle me dit avoir envie de pousser. Son col n'était ouvert qu'à 2 doigts. Elle pouvait même attendre encore tranquillement chez elle quelques heures. Mais, non, en fait, elle n'a pas de moyens de transport... Voilà, ce n'est pas plus compliqué que cela : il lui faut juste un moyen pour aller à l'hôpital et pour être sur de l'obtenir, elle a préféré "noircir" le tableau.
Parfois, nous intervenons auprès d'une personne dont un membre de la famille a appelé le Samu pour qu'un médecin se déplace car il n'arrivait pas à obtenir un rendez vous avec un médecin qui se déplace à domicile.
Il nous faut quitter les urgences, transmettre les patients dont nous nous occupons à nos collègues déjà bien occupés avec les leurs, en sachant que souvent, une fois de retour, comme ils n'auraient pas eu le temps de s'en occuper, il nous faudra expliquer et nous excuser pour le retard.
Voici un des effets pervers du Samu : par téléphone, on ne peut que se fier aux dires du patient ou de la famille et c'est prendre un risque de passer à côté d'une pathologie grave que de décider de ne pas envoyer d'équipe médicale parce que l'interrogatoire parait douteux.
Parfois, quand il est clair que notre intervention n'était pas justifiée, on essaie d'expliquer qu'il n'était pas nécessaire de noircir le tableau pour que des moyens soient envoyés et que notre présence à leur côté peut être préjudiciable pour une autre intervention justifiée. J'ai souvent eu alors le sentiment qu'on était incompris et qu'ils n'hésiteraient pas à recommencer.
Tant pis...

vendredi 7 mars 2014

Changement de rythme

Quel changement de rythme en peu de temps... La semaine dernière : après 24h aux urgences et une petite journée de repos, départ pour Lima au Pérou. Environ 14 heures de vol avec une arrivée à 20h heure locale, soit 2h du matin chez nous. L'hôtel étant situé proche de l'aéroport, aucune chance pour que je vois quoi que ce soit de la ville. De toute façon, il me fallait récupérer pour pouvoir assurer le lendemain : départ à 6h de l'hôtel pour un vol pour Cuzco (la ville la plus proche du Machu Picchu), récupérer la patiente et retour en sens inverse. Au total, 4 vols et pas loin de 16 heures de vol dans la même journée. Ainsi, en 60 heures de travail, j'en aurais passé 30 dans un avion. Bizarre comme job, non ? Et tout cela en classe business : champagne à l'arrivée dans l'avion, petite trousse de toilette fournie, siège permettant de dormir en position horizontale, repas complet avec couverts en métal, apéritif, choix du vin et digestif,... Bien sur, je m'occupe de la patiente, mais je n'en ai qu'une à gérer et dans une ambiance feutré et confortable. Cela me change radicalement des 4 patients en situation critique à gérer au déchocage avec pour assise un pauvre tabouret. Je préfère le ronronnement du réacteur aux bips d'alarme du scope et du respirateur. Par contre, le passage du contrôle des bagages est toujours aussi problématique : cette fois-ci, j'ai eu affaire à une agent un peu trop zélée : elle regardait chaque partie de mon sac. Quand je l'ai vu s'attaquer à la trousse de médicaments, j'ai pris peur. Et effectivement, elle me demandait à quoi servait chaque ampoule. Je lui répondais :"anesthésique", ou "anxiolytique" en lui précisant que c'était pour endormir des gens. Elle prenait alors le médicament et le posait dans un petit bac. C'est lorsque j'ai commencé à exprimer mon exaspération sans m'énerver (on sait jamais, c'est assez susceptible un agent de sécurité) qu'elle est allée chercher son responsable. J'ai alors sorti mon argument ultime : Si je ne pouvais pas prendre ma trousse entière, la patiente restait là et j'embarquais sans elle. A eux alors de s'en occuper. La patiente a alors montré sa cicatrice de craniotomie qu'elle cachait sous une casquette. Bizarrement, cela marche toujours et une fois encore, la sécurité m'a dit que tout était ok. A ma charge de ranger mes médicaments et tout mon sac.
Voyager avec cette patiente fut très agréable. Sans parler aucune langue étrangère, elle avait décidé à 60 ans de voyager et alors qu'elle avait eu de lourds problèmes médicaux (lymphome) et qu'elle prenait un anti-coagulant, elle était partie en Amérique du Sud. Quand je pense à tous ceux que le simple traitement par insuline les cantonne à leur domicile. Son hémorragie intra-cranienne ne l'avait pas arrêté dans ses projets, on parlait des différentes capitales européennes (Barcelone et ses ramblas, Amsterdam et ses vélos, Prague et son château), mais aussi de l'Asie (Inde et ses ghats, Cambodge et Angkor,  Thaïlande et Phuket,...), d'Afrique (Madagascar, Sénégal...). Quelle motivation, elle prenait un vol sec, son sac à dos et s'organisait sur place pour les visites. Avec sa maigre retraite, elle dormait en général dans les auberges de jeunesse et prenait les bus locaux. J'adore ces gens simples d'apparence mais ayant une grande richesse intérieure. Pendant tout le retour, on a bien sympathisé et même commencé à se chambrer. En m'entendant parler anglais, elle m'a fait remarqué qu'elle pourrait faire mon travail. La garce... ;)

Le lendemain, passage à la case urgence avec son rythme soutenu et interminable et alors que je croise et vois beaucoup de patients, je ne discute avec aucun. Puis, nouveau départ en avion pour l'Autriche pour un jeune ayant convulsé et devant rentré chez lui. Et encore une fois, tranquille, à passer du temps à discuter avec lui : lui aussi voulait voyager mais en voiture cette fois, en prenant le temps de se poser dès qu'une ville lui plaisait. Il avait ainsi atterri à Braunau, ville natal d'Adolf Hitler. J'aurai au moins appris quelque chose cette semaine.

Tout cela pour finir par 24 heures aux urgences et me retrouver fatigué, vidé... Vivement la prochaine mission.