Samedi fut une journée rassemblant tout ce que l'on peut vivre de pire aux urgences.
Pourtant, tout avait bien commencé : l'habituel patient en état d'ébriété était rentré chez lui. La matinée s'annonçait calme, ce qui me permettait de trouver une solution à une femme venue du Congo Zaïre par bateau puis en voiture, sans papiers et ne sachant pas où aller. J'ai téléphoné à une dizaine d'association : croix rouge, secours catholique, secours populaire, samu social, mais en fin de journée, la voyant toujours prostrée sur son brancard et sans solution d'hébergement trouvée, j'ai du l'hospitaliser en UHCD. Difficile de la laisser partir au milieu des champs. Comme quoi, il doit me rester une once d'humanité. Nous avions reçu aussi la classique personne âgée démente et grabataire en fin de vie pour une altération de l'état général (à croire que son état n'était pas encore assez altéré) qui avait été admise en salle de déchocage (fallait bien cela).
Et puis voilà, arrive une patiente ayant été opérée par les urologues il y a 2 semaines pour un prolapsus et qui saigne. Je ne suis pas chirurgien, ce n'est pas moi qui l'ait opéré, je ne sais pas vraiment quoi faire. Alors j'appelle le spécialiste. Evidemment, un samedi, il est d'astreinte et ne désire pas passer son samedi aux urgences (et nous, alors ?). Après quelques échanges, il me dit que je n'ai qu'à tamponner. Je lui précise que je ne fais pas cela et il me rétorque que je n'ai qu'à apprendre mon métier. Voilà, ça a commencé par cela. Faut que j'apprenne mon métier. Et ben mon métier, je le connais, sédater, intuber, drainer, réduire des fractures ou des luxations, traiter un infarctus et tout état de choc. Par contre, je ne sais pas opérer et encore moins faire le "service après vente" de la chirurgie... Au final, j'ai bien été obligé de trouver une solution : j'ai relevé mes manches et fait ce que j'ai pu : en faisant mal à la patiente, j'ai placé quelques compresses sur ce que je croyais être l'origine du saignement. Evidemment, cela n'a pas marché (cela aurait été trop simple). Alors, j'ai contacté la gynécologue qui a accepté de m'aider.
J'ai eu aussi la chance de m'occuper de la femme venant pour une douleur pelvienne depuis... quelques semaines, mais là évidemment "c'est pire". Enfin, venant pour une douleur pelvienne, elle vient surtout pour une échographie. Alors quand je lui explique qu'il faut qu'on fasse des examens, elle préfère partir. Drôle de conception des urgences...
Plus tard, le monde arrivant, le temps d'attente s'allongeant, les soignants courant sans prendre de pause, la tension monte. Un jeune homme seul dans son box d'examen interpelle toutes les personnes passant et leur demande si on ne l'a pas appelé. Je me renseigne, retourne le voir et lui dit que quelqu'un va venir. Comme je vois qu'aucun médecin ne s'est pas encore "cliqué" dessus, je m'y "colle". Et voilà, qu'apparait dans l'office médicale, ce jeune patient venant pour fièvre, apostrophant les infirmières. Je viens le voir et lui explique calmement de retourner dans son box et que j'arrivais. Quelques secondes après qu'il soit parti, je n'ai pas pu m'empêcher de commenter "il n'a pas l'air si malade"... Et voila, ce fameux "malade" revenant en furie après m'avoir entendu, pour m'insulter et finalement me donner un coup au visage. A ce moment, toute l'équipe médicale et paramédicale nous sépare. Lui continue à m'insulter. Je reste relativement calme. Après quelques minutes, le patient repart dans son box. Et moi, bizarrement, je décide d'aller le voir. Pourquoi ? Je ne sais pas. D'habitude, je suis le premier à dire que nous ne sommes pas là pour se faire insulter, encore moins frapper. Son geste ne m'a pas surpris. Et lui même ne s'est pas senti dans l'obligation de s'excuser. Même seul avec lui et après avoir bien insisté sur le fait qu'il m'avait agressé physiquement, il trouvait normal de frapper un médecin. Au final, il a décidé de partir sans que j'ai pu finir mon examen. Quand je pense que je suis allé le voir et que j'ai même commencé à l'examiner... Je lui ai dit que j'allais porter plainte. Faudrait le faire, mais faire une entrée puis un certificat de coups et blessures ainsi qu'une déclaration d'accident de travail puis poser une plainte au commissariat, bref tout cela me semble trop long et surtout à rien. Enfin, pas tout à fait, mais je sais que cela ne changera rien pour moi. Et pourtant, je suis le premier à déclamer haut et fort qu'il faut qu'on se fasse respecter. C'est quand même dingue de devoir en arriver là. Les gens n'ont plus de respect pour le temps qu'on leur consacre. D'autant que l'on essaye de voir le maximum de patients sans prendre de pause au risque de faire une erreur. Par la suite, j'ai continué mon travail comme si rien ne s'était passé, parce que tout cela devait forcément arriver un jour. Heureusement, l'équipe médicale et para-médicale est venue me voir pour me réconforter, car mine de rien, cela fait bizarre d'être adressé, nous ne sommes pas préparés à cela.
Ainsi, ce jour m'a montré clairement la position des urgences : entre les patients d'un côté insatisfaits et à qui il faut rapidement trouvé une solution et les spécialistes qui ne comprennent pas qu'on ne connaisse pas leur travail. Et pour nous, est ce que quelqu'un a une solution ?