J'apprécie beaucoup mon nouveau travail. Pas à pas, on avance avec les patients et leurs proches.
Comme ce que l'on fait avec un jeune patient de 37 ans atteint d'une sclérose latérale amyotrophique (comme Stephen Hawking) qui, en 2 ans d'évolution, l'a rendu tétraplégique. La maladie est tellement évoluée que depuis les 6 mois de notre prise en charge, le patient ne peut plus parler ni avaler : dorénavant, il est nourri par le biais d'une sonde de gastrostomie et ne peut communiquer que par clignement des yeux : une fermeture prolongée des yeux signifie "non" et un papillonnement "oui". Pendant longtemps, il ne pouvait faire des phrases qu'en épelant tous les mots qu'il souhaitait dire à l'aide d'une pancarte où les lettres étaient disposées en 4 groupes de couleurs différentes. Récemment, il a fait l'acquisition d'un ordinateur avec commande oculaire, ce qui a beaucoup simplifié les échanges.
Dès le début, s'est posé le problème des directives anticipées. On en parlait en équipe avec les infirmières et les aides-soignantes. On savait tous qu'à un moment donné, on arriverait en bout de course, c'est-à-dire à la limite de notre prise en charge et qu'il faudra soit l'hospitaliser en réanimation lors d'un accès aigu avec une intubation soit le sédater... Dur... Dur...
Il n'a que 37 ans, marié, une fille de 19 ans en terminale qui doit passer son bac et un petit de 5 ans... Même si son corps ne lui obéit plus, il a encore toute sa tête. Régulièrement, je me demande comment il perçoit le monde qui s'agite autour de lui : Est-il frustré ? En colère ? Ou alors est-il désormais résigné et a t'il accepté son sort ? Il ne "dit" que le strict minimum, vu que le moindre mot à épeler prend une éternité. Son visage paralysé n'exprime aucune émotion. A sa place, j'aurai envie de tout casser et mon état paralytique ne ferait qu'exacerber ma colère. En bref, il est impossible de se mettre à sa place.
Pour aider le patient et son entourage à prendre une décision, on leur a donné les coordonnées d'un patient atteint de la même pathologie, trachéotomisé et vivant à domicile. Ce dernier a trouvé des aidants brésiliens qui ont été formés et sont payés pour être présents toute la journée. On leur a parlé d'autres patients, des structures existants, des formations nécessaires à effectuer pour l'entourage et les intervenants para-médicaux.
Ces dernières semaines, plusieurs événements nous ont fait craindre le pire avec la survenue d'épisodes de décompensation respiratoire et un sentiment d'étouffement du patient. Lors de ces moments de stress intense, l'épouse avait une attitude plutôt fuyante. D'un, on se rend compte qu'il va falloir qu'une décision soit prise. Et de deux, si la trachéotomie est décidée, on a peur que l'épouse ne soit pas partie prenante. On n'a jamais réussi à savoir ce qu'elle désirait réellement. On la comprend bien pourtant : si elle est contre la trachéotomie, elle condamne son époux. Elle ne peut pas l'exprimer sans avoir peur du jugement d'autrui. Malgré tout, à sa place, avec tout ce stress, cette angoisse, cette frustration de ne rien pouvoir faire, je me dirai que ma vie serait bien différente si tout cela s'arrêtait, que je pourrai totalement me consacrer à mon fils...
Récemment, le patient a émis le souhait d'être trachéotomisé. Je comprends son choix et ferai probablement le même à sa place : même si son corps ne lui répond plus, il pourra continuer à vivre et voir grandir ses enfants. C'est à nous d'organiser au maximum les choses pour qu'une fois, la trachéotomie faite, il dispose du maximum d'aides. Mais cela ne se fera probablement sans notre aide, notre service n'a pas pour but de prendre en charge des patients sur du long terme.
C'est dur de rester professionnel. Chacun a son ressenti.